veut appliquer ces vérités à la pratique et les rendre dès lors individuelles, semblables encore à cet égard aux vérités mathématiques, elles ne sont plus que des vérités approchées. Il n’existe réellement qu’une seule différence : c’est que les idées dont l’identité forme les vérités mathématiques ou physiques sont plus abstraites dans les premières ; d’où il résulte que, pour les vérités physiques, nous avons un souvenir distinct des individus dont elles expriment les qualités communes, et que nous ne l’avons plus pour les autres. Mais la véritable réalité, l’utilité d’une proposition quelconque est indépendante de cette différence ; car on doit regarder une vérité comme réelle, toutes les fois que, si on l’applique à un objet réellement existant, elle reste une vérité absolue, ou devient une vérité indéfiniment approchée.
M. de Buffon proposoit d’assigner une valeur précise à la probabilité très grande que l’on peut regarder comme une certitude morale, et de n’avoir, au delà de ce terme, aucun égard à la petite possibilité d’un événement contraire. Ce principe est vrai, lorsque l’on veut seulement appliquer à l’usage commun le résultat d’un calcul ; et dans ce sens tous les hommes l’ont adopté dans la pratique, tous les philosophes l’ont suivi dans leurs raisonnements ; mais il cesse d’être juste si on l’introduit dans le calcul même, et surtout si on veut l’employer à établir des théories, à expliquer des paradoxes, à prouver ou à combattre des règles générales. D’ailleurs, cette probabilité, qui peut s’appeler certitude morale, doit être plus ou moins grande suivant la nature des objets que l’on considère, et les principes qui doivent diriger notre conduite ;