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ART. VI. GÉOGRAPHIE.
toit pas des courants, mais que la mer alloit en s’élevant vers le ciel, et que peut-être l’un et l’autre se touchoient du côté du midi ; tant il est vrai que dans les trop grandes entreprises, la plus petite circonstance malheureuse peut tourner la tête et abattre le courage[1].
- ↑ Sur ce que j’ai dit de la découverte de l’Amérique, un critique plus judicieux que l’auteur des Lettres à un Américain, m’a reproché l’espèce de tort que je fais à la mémoire d’un aussi grand homme que Christophe Colomb. C’est, dit-il, le confondre avec ses matelots, que de penser qu’il a pu croire que la mer s’élevoit vers le ciel, et que peut-être l’un et l’autre se touchoient du côté du midi. Je souscris de bonne grâce à cette critique, qui me paroît juste : j’aurois dû atténuer ce fait, que j’ai tiré de quelque relation ; car il est à présumer que ce grand navigateur devoit avoir une notion très distincte de la figure du globe, tant par ses propres voyages que par ceux des Portugais au cap de Bonne-Espérance et aux Indes orientales. Cependant on sait que Colomb, lorsqu’il fut arrivé aux terres du nouveau continent, se croyoit peu éloigné de celles de l’orient de l’Asie. Comme l’on n’avoit pas encore fait le tour du monde, il ne pouvoit en connoître la circonférence, et ne jugeoit pas la terre aussi étendue qu’elle l’est en effet. D’ailleurs, il faut avouer que ce premier navigateur vers l’occident ne pouvoit qu’être étonné de voir qu’au dessous des Antilles il ne lui étoit pas possible de gagner les plages du midi, et qu’il étoit continuellement repoussé. Cet obstacle subsiste encore aujourd’hui ; on ne peut aller des Antilles à la Guiane dans aucune saison, tant les courants sont rapides et constamment dirigés de la Guiane à ces îles. Il faut deux mois pour le retour, tandis qu’il ne faut que cinq ou six jours pour venir de la Guiane aux Antilles ; pour retourner, on est obligé de prendre le large à une très grande distance du côté de notre continent, d’où l’on dirige sa navigation vers la terre ferme de l’Amérique méridionale. Ces courants rapides et constants de la Guiane aux Antilles sont si violents, qu’on ne peut les surmonter à l’aide du vent, et comme cela est sans exemple dans la mer Atlantique, il n’est pas surprenant que Colomb, qui cherchoit à vaincre ce nouvel obstacle, et qui, malgré toutes les ressources de son génie et de ses connoissances dans l’art de la navigation, ne pouvoit avancer vers des plages du midi, ait pensé qu’il y avoit quelque chose de très extraordinaire, et peut-être une élévation