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LE CURÉ LABELLE

pas plus lui échapper que je n’ai échappé pendant longtemps aux serres du noir vautour qui a rongé ma vie et qui a dressé dans mon cœur tant de tombeaux, avant que mon corps aille habiter pour toujours celui qui l’attend.

J’ai déjà dépassé l’âge où l’on ne regarde plus vers l’avenir, mais dans le passé. À l’avenir je n’ai plus aucun droit ni aucun souci de demander rien, si ce n’est de me laisser achever quelques œuvres à peine ébauchées et le temps nécessaire pour laisser à mes chers enfants, ma seule préoccupation désormais, un nom qu’ils pourront invoquer un jour avec confiance auprès de leurs compatriotes. Il faut que je me hâte, si je ne veux pas que la mort me surprenne à mon tour comme elle l’a fait de mon grand ami, frappé en pleine carrière et les mains encore pleines d’œuvres. Il faut que j’édifie avec un soin jaloux de chaque heure si je veux laisser de moi un souvenir, qui dure seulement autant que mon rapide passage, et c’est en gardant dévotement le vôtre, ô mon généreux ami, c’est en donnant cet exemple de la fidélité à votre mémoire et aux nobles enseignements que vous m’avez prodigués, que je réussirai peut-être à mon tour à laisser de mon séjour parmi les hommes quelque fruit, ou du moins autre chose que le vain fantôme d’une vie inutile.