Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/12

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qui s’y trouvent et dont on voit au loin les collines soulever péniblement leur froid linceul, n’aient aucun culte pour le progrès ni aucune notion de ce qui le constitue.

Je porte mes regards à l’est, à l’ouest, au sud, au nord ; partout un ciel bas, chargé de nuages, de vents, de brouillards froids, pèse sur des campagnes encore à moitié ensevelies sous la neige. Le souffle furieux du nord-est fait trembler les vitres, onduler les passants, frémir les arbres qui se courbent en sanglotant sous son terrible passage, frissonner la nature entière. Depuis trois semaines, cet horrible enfant du golfe, éclos des mugissements et des tempêtes de l’Atlantique, se précipite en rafales formidables, sans pouvoir l’ébranler, sur le roc où perche la citadelle, et soulève sur le fleuve une plaine d’écume bondissante, aussitôt dispersée dans l’air, aussitôt rejaillissant de l’abîme en fureur : « Ce vent souffle pour faire monter la flotte, » disent les Québecquois. Et, en effet, la flotte monte, monte, mais ne s’arrête pas, et nous passe devant le nez, cinglant à toutes voiles vers Montréal.

Ainsi donc, Québec a le nord-est sans la flotte, Montréal a la flotte sans le nord-est ; lequel vaut mieux ? Mais si Québec n’a pas la flotte, en revanche il a les cancans, et cela dans toutes les saisons de l’année. Voilà le vent qui souffle toujours ici. Oh ! les petites histoires, les petits scandales, les grosses bêtises, comme ça pleut ! Il n’est pas étonnant que Québec devienne de plus en plus un désert, les gens s’y mangent entre eux. Pauvre vieille capitale !