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CHRONIQUES

faire pocher un œil, ou aplatir le nez ou défoncer le thorax, vaut autant que ce soit fait suivant les règles et adroitement que par un brutal quelconque, qui ne s’annonce pas. Ce n’est pas là ce qui m’occupe pour le moment ; mais je suis conduit à des réflexions philosophiques en voyant la souscription ouverte et presque déjà close en faveur du prétendant à la succession Tichborne.

Croirait-on que cet homme, condamné comme imposteur, comme vilain et faussaire, traduit devant les assises comme parjure, trouve à réaliser, par une simple souscription populaire, vingt-cinq mille dollars de cautionnement ? C’est ici que se révèle avec éclat cet esprit d’équité anglais qui fait que chacun s’intéresse à un acte de justice et veut donner à tout homme ses chances légitimes, son fair trial. Ce n’est pas que le prétendant soulève beaucoup de sympathies, mais sa cause devient la cause de tous en face d’une condamnation qui ne satisfait pas tous les esprits, et surtout en présence de la conduite du gouvernement qui met toute son influence et ses ressources à la disposition d’une famille énormément riche, pour combattre un homme auquel on refuse même les moyens de se défendre.

En France, le pauvre Thomas Castro, alias Arthur Orton, alias Sir Roger Tichborne, serait déjà mort sous les quolibets, malgré sa merveilleuse apathie qui fait dire à un journal de la métropole anglaise « qu’il passe la moitié de ses journées à dormir et l’autre moitié à méditer dans une douce somnolence. »