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CHRONIQUES

le monde n’a pu retrouver son assiette ; toutes les questions s’embrouillent, la diplomatie n’est plus une école de politique, ce n’est plus même une comédie solennelle, cela devient une bouffonnerie, une grosse farce dont les actes se mêlent et n’ont pas de dénouement.

Certes, l’humanité a fait un grand pas le jour où elle a voulu soumettre les différends internationaux à l’arbitrage. Voilà un tribunal constitué à Genève depuis plus d’un an et il n’est même pas encore reconnu ! La question de l’Alabama n’est pas plus avancée que lors du fameux discours de Sumner qui posait à l’Angleterre cet ultimatum : "Pay, apologize or fight". Ça, du moins, c’était clair ; pas d’arguties, pas de subtilités, pas d’échappatoire possible avec ces trois mots.

Depuis, on a présenté des mémoires et des contre-mémoires. Chacun a établi son cas, on y a mis le temps, Dieu merci ! puis, quand tout a été préparé, bien expliqué, quand on a eu rassemblé dans d’énormes volumes toutes les équivoques et fait le compte de toutes les réclamations, on s’est dit : « Tout est prêt maintenant ; réglons. »

Bah ! il y avait encore les interprétations. Or, chez deux nations élevées dans l’amour de la controverse, comme le sont les Américains et les Anglais, on va loin lorsqu’on veut interpréter. Donc, on avait interprété aux États-Unis que l’Angleterre était encore débitrice de trois à quatre cents millions ; l’Angleterre, elle, avait interprété qu’elle était quitte. Vous voyez qu’il y avait de la marge. Pour combler ce gouffre béant, on a commencé à jeter dedans des notes et des contre-notes, des dépêches, des interpellations, encore des mémoires et des contre-mémoires, des déclarations, des