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CHRONIQUES

Dans un article de la Minerve que j’ai lu et relu bien des fois depuis jeudi dernier, il est question de plusieurs grands hommes, victimes de l’ingratitude populaire, lesquels grands hommes, tels que Mirabeau, Wellington, etc,… ont toutes les ressemblances possibles avec Sir George Étienne. Après avoir fait ce rapprochement qui naît de lui-même sous la plume, la Minerve ajoutait avec un accent douloureux :

Sir George a été sifflé, hué à Montréal, alors qu’il se disposait à grossir encore la liste déjà considérable des bienfaits dont il a doté la ville.

Il a pu entendre, lui aussi, vociférer dans la rue : « la grande trahison de Cartier ! » On ne lui a épargné ni les injures, ni les violences, ni les menaces. Que cela ait chargé son cœur d’amertume, c’est dans l’ordre ; que cela l’ait étonné outre mesure, non, car tout homme public doit compter sur l’outrage de ceux qu’il a servis ; que cela l’ait dégoûté, découragé et éloigné à tout jamais de l’arène politique, non encore, car Sir George possède une âme de bronze, que l’ingratitude populaire ne fera pas dévier de sa route.

On ne manie pas le bronze comme on veut ; c’est un métal pesant ; on ne peut pas à discrétion le faire aller de droite ou de gauche. Il ne suffit pas d’être ingrat pour déplacer un baronet en métal ; il faut absolument qu’il y ait eu de plus des raisons d’une très-grande force et une impulsion formidable donnée à la répugnance publique.

On n’est pas ingrat pour le seul plaisir de l’être. S’il en était ainsi, il y a déjà longtemps que les Montréalais se seraient payé cette jouissance ; pour moi, voilà bien certainement douze ans que je suis ingrat envers Sir George, sans que cela m’ait donné toutes les joies de la terre. Malheureusement, nos concitoyens