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CHRONIQUES

niaires. Cette louange ne laisse pas d’alternative. Ou l’on est un croquant, un fripon, ou l’on a tout simplement fait son devoir en ne prenant pas pour soi l’argent du public. Cette vertu me paraît facile, d’autant plus qu’elle est contrôlée.

Ce que j’admire, ce qui me gonfle d’étonnement, c’est qu’un homme qui a eu, pendant de si longues années, la direction d’un pays, ne soit entouré que de braillards et n’ait pas prévu qu’il était mortel. Est-il rien de plus humiliant que de se voir réduit à n’être plus rien parce qu’un homme disparaît de la scène politique ? Est-il une condamnation plus honteuse de la carrière d’un chef de parti et comment veut-on maintenant que nous ne soyons pas écrapoutis par le premier oppresseur venu, puisque vingt années de pouvoir n’ont produit que des impuissants et des pleurnicheurs ? Quoi, pas un homme, pas un seul pour remplacer le dieu d’argile qui, en un jour, a vu ses autels déserts et son temple écroulé sous un souffle ! Deux générations passives, obéissantes, avaient été formées dans l’adoration muette et dans un fétichisme aveugle qui ne laissait plus de ressource à l’intelligence ni d’espoir à la pensée. Tout s’était effacé, courbé, pour ne laisser debout qu’un fantôme revêtu de toutes les apparences de la force.

Autour de lui il avait fait le vide, repoussé toutes les capacités, découragé tous les talents, sans songer qu’il faut avoir à soi le lendemain et commander le temps, qui n’obéit à personne, pour se décréter immuable. Aussi, lorsque le glas funèbre a sonné, sir George s’est-il trouvé seul en présence de l’Écho de Lévis qui le venge en l’appelant vaincu, du Constitu-