Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/305

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Guestier. Pour le chroniqueur, c’était là un rêve réalisé, une illusion devenue tangible, prenant forme.

Abandonné à l’ivresse délectable que le moka, savamment combiné avec le rhum, répandait dans mes sens, je ne m’étais pas aperçu que tous les hôtes de la maison étaient partis, qui d’un côté, qui de l’autre, me laissant absolument seul dans ces luxueux pénates, comme font tous les petits dieux de l’Olympe quand Jupiter fait la sieste. Il n’y avait pas jusqu’à une amie de la maison, jeune femme affligée déjà de six années de veuvage, qui ne fût sortie, après être toutefois venue à plusieurs reprises voir si je ne trouverais pas quelques prétextes pour la retenir ; mais, enveloppé dans les vapeurs du bien-être, je n’avais rien compris à ce manège féminin et je me contentais de répondre du coin de l’œil aux regards profonds et obstinés de cette fille d’Ève.

Dans la matinée même on avait pris des dispositions pour l’hiver qui s’annonçait ; la jeune veuve avait rentré les nombreux pots de fleur et les plantes qui s’épanouissaient dans la serre, et les avait affectueusement étagés devant chaque fenêtre ; on avait fait un ménage général, changé la destination de plusieurs pièces, et chacun, une fois l’œuvre finie, avait voulu faire une promenade par un de ces beaux jours d’automne où le soleil rassemble en deux ou trois heures ses plus éclatants rayons.

Je sommeillais ainsi dans ma solitude enchantée, depuis dix à quinze minutes peut-être, lorsque, tout à coup, j’entendis résonner le timbre de la porte. L’instant d’après la servante alla ouvrir ; j’étais resté seul