Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/313

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à Paris, avait une unité analogue à la mienne ; ainsi il ramenait tout à son obélisque, jusqu’à son nom qui était devenu M. Le Bas de l’Obélisque. Il semble que cela est fatal en architecture.

Tu as le droit d’être surpris, lecteur, de ce que je n’aie pas encore analysé le désespoir, et pourtant il est minuit déjà. Minuit ! c’est l’heure du night-cap universel, celle où le lion ronge sa proie s’il a pu l’attraper, après que le crépuscule a descendu ses voiles sur le désert. C’est une heure unique dans la journée, une heure qui fait tressaillir la chrétienté entière une fois par an, une heure où le monde semble retenu un instant dans les abîmes de la durée, où la pensée humaine se repose comme suspendue au jour qui finit, alors que le temps a déjà marqué une seconde au jour qui commence. Ainsi, rien n’est fini pour le temps pour lui le jour n’arrête jamais. Il marche pendant que les hommes comptent, pendant qu’ils sommeillent et ne se sentent pas durer, comme le remords qui veille et tient l’âme éveillée au milieu des songes.

Non, pas une minute où l’homme puisse dire : « Cette minute ne compte pour rien dans mon existence ; cet instant, je puis en jouir sans qu’il s’ajoute à tous les autres qui m’entraînent dans l’éternité ; pas un, pas un seul où je m’arrête pour contempler le présent entre le passé qui m’a fui et l’avenir qui m’échappe déjà au moment où j’y songe. L’avenir ! qu’est-ce donc que ce mot pour exprimer ce qui ne fut jamais ? Qu’est-ce que cette pensée constante, si ce n’est un rêve où