Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/34

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qu’on démolira ou qu’on ne démolira pas, personne ne le sait ; toujours est-il qu’on a percé les remparts tortueux, le dédale de petits bastions à moitié démolis d’eux-mêmes qui se trouvaient au dehors, afin de faire un chemin large et droit. Mais voyez un peu ; à peine a-t-on fini cette œuvre indispensable à la circulation qu’on relève et qu’on appuie de nouveau par des murs les misérables petits mamelons échancrés, en ruine, isolés, qui, auparavant, étaient des remparts continus ; pourquoi cela ? Probablement pour qu’il n’y ait aucun espace vide dans la vieille capitale déjà étouffée. Québec est une ville où l’on a le respect inné de tout ce qui nuit, comme celui des Égyptiens pour les crocodiles ; on y a le culte des nuisances. Des rues qui seraient pavées ou seulement praticables y feraient l’effet d’un habit neuf sur le dos d’un paralytique. Il y a ici beaucoup d’Américains qui sont attirés par l’étrangeté du spectacle d’une capitale en ruines sur le sol encore si jeune de l’Amérique ; ils regardent avec des mines tout ahuries et ont l’air de chercher des souvenirs parmi les décombres, comme les visiteurs de Pompéi.

Une jolie illumination se prépare pour ce soir : les pavillons se tendent d’un côté à l’autre des rues, les fenêtres s’emplissent de lanternes et de bougies, les bustes et les portraits de Pie ix apparaissent aux façades, aux vitraux, sur les petites arches en bois qu’on a construites pour l’occasion ; en somme cela donne un air de fête de village assez réjouissant. J’ai vu parader aussi l’artillerie volontaire, ce qui m’a déterminé à être en faveur des armées permanentes. Quant à avoir des soldats, vaut mieux les avoir comme