Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/355

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L’autre soir, comme je songeais, fatigué des mille agitations du jour, et cherchant en vain à fixer ma pensée sur quelque chose de saisissable, moitié assoupi moitié rêveur, je me sentis comme emporté dans une atmosphère inconnue, et une voix d’outre-tombe, une voix de trépassé, que je reconnus pour l’avoir entendue souvent, vint frapper mon oreille :

« Tu ne mourras point, tu ne mourras jamais. Ton âme, étincelle divine, purifiée, flottera libre dans les cieux que tu ne fais qu’entrevoir. Ce qui pense ne peut être enfoui dans un tombeau. Tu seras toujours, parce que rien ne peut détruire ce qui est insaisissable, ce qui est à l’épreuve du temps. La poussière de ton corps seule ira se perdre dans la source sans fond, dans le creuset de la nature où tout se transforme, où la vie se renouvelle sans cesse en changeant d’aspect et de nom. Qu’étais-tu avant d’être un homme ? Quelque chose que tu ne connais pas, mais qui a existé et qui s’est brisé, détruit, pour te donner à ton tour l’existence. Tu es né dans le mystère : mais ce mystère, devras-tu toujours l’ignorer ? Non ; en quittant ta forme présente, tu deviens un esprit qui s’agrandit s’élève, passe par tous les degrés de la perfectibilité et arrive ainsi à la connaissance de toutes choses.

« Si cela n’était point, autant vaudrait dire qu’en devenant un homme, tu n’étais pas plus que l’objet inconnu, le germe mystérieux où tu as pris le jour, et que ta pensée est restée aussi faible qu’elle l’était à ton berceau. La nature entière marche au progrès ;