brise la cadence monotone des roues des bateaux, c’est la voix des femmes d’Albion qui volent aux eaux par troupes comme les hirondelles qui fuient. Quoique les Anglaises du Canada continuent d’appeler l’Angleterre leur home, une patrie que la plupart d’entre elles n’ont jamais ni vue ni connue, elles se font parfaitement à leur patrie réelle et bravent mieux que les vraies Canadiennes l’inconstance de son climat. Que voit-on dans les stations d’eau renommées, fashionables ? Des familles anglaises et rien que des familles anglaises. Ce sont elles qui ont bâti les jolis et riants cottages qui font de Cacouna le Saratoga canadien, et ces cottages se comptent par vingtaines ; ils s’échelonnent sur le coteau jadis abrupte et inculte qui domine le fleuve, et leurs parterres émaillés, leurs petits jardins coupés de rocs et de taillis, les allées étroites, les sentiers épineux en font comme un petit Eden à moitié sauvage où l’on peut rêver, gémir, chanter et grelotter à discrétion.
Depuis deux jours que je suis ici, je parcours d’un bout à l’autre ce village qui n’existait pas il y a vingt ans, et qui aujourd’hui a plus de deux milles de longueur, avec des maisons élégantes, presque aussi proches les unes des autres que celles de la ville, eh bien ! je n’ai pas encore entendu un mot de français, si ce n’est des habitants qui viennent vendre leurs produits et des cochers qui mènent les visiteurs. Déjà quelques Américains, fuyant le ciel corrosif de New-York, sont venus à Cacouna avec leurs femmes pour respirer, disent-ils, et ils respirent tant qu’ils demandent, avec un grand sérieux, quelle est la distance entre Cacouna et le pôle