Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/38

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et luttant entre le ciel et la terre pour conserver leur effrayant équilibre ! Moi, pensif, surpris par la petitesse de mon être devant la hauteur de ce spectacle, rappelant avec effort les plus profondes images et les plus chers souvenirs de ma vie, je restai confondu du néant de l’ambition humaine et de la folie d’espérer !

Ce fut en ce moment que j’aperçus quelques cabanes d’Indiens, jetées sur le rivage comme des tas de varech. « Ô Wistitis. Micmacs, Hurons, Abénaquis, Onontagués, que venez-vous faire ici ? — Nous faisons des paniers, des corbeilles, des bracelets, des petites boîtes, des pendants d’oreilles et des porte-cigares en osier ou en paille, et nous les vendons aux beaux messieurs comme vous, » me répondit de son wigwam fumeux une horrible créature plus laide qu’une grimace de fée, plus crasseuse que la natte grossière qui couvrait le sol de sa cabane. Beau monsieur était alléchant, je le pris au sérieux : en un clin-d’œil passa devant moi la vision de mes innombrables victimes, et je pensai qu’un porte-cigares de vingt-cinq cents était bien le moindre holocauste que je pusse offrir à tous ces fantômes.

Le ciel commençait à se couvrir, c’est de rigueur. Cette année le ciel se couvre régulièrement tous les soirs, verse des torrents de pluie et se découvre ensuite tous les matins. C’est le contraire de l’humanité ; aussi je ne m’étonne pas de ce que les hommes déraisonnent tant.

Je vous ai dit que les Canadiens viennent peu aux stations d’eau fashionables. S’ils se rendent moins dans