Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/418

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Nous étions devant une maison d’assez bonne apparence pour cette contrée encore à la fleur de l’âge ; je sautai de voiture, Horace derrière moi, calme, grave et surtout lent, Rossus déjà à moitié enterré dans le foin vert qui borde la route. Nous arrivons… portes ouvertes, maison vide ; pas même un chat, pourtant le plus domestique, le plus casanier des animaux. Nous regardons de tous côtés ; Néron découvre une huche, je me précipite ; il y avait cinq à six pains tout frais ; Horace entr’ouvre une espèce d’armoire, et soudain brille à nos yeux toute une rangée de bols de lait disposés avec autant de symétrie que de séduction. Devant une telle abondance, au lieu de me plonger, je restai coi avec des scrupules.

Ô lecteur ! des scrupules,… tu ne sais peut-être pas ce que c’est, mais moi !!! Le ciel, vois-tu, m’a donné une âme timide et douce, lorsque je crève de faim, et alors j’ai le respect des huches.

Comme je continuais d’être perplexe, la bouche immense et les mains immobiles, voilà que, subito, nous voyons arriver à la maison deux gamins tenant chacun une brochetée de truites qu’ils venaient de prendre dans la rivière Chicoutimi.

La rivière Chicoutimi, (entre parenthèses) pleine de méandres et de détours inattendus qui la font perdre de vue à chaque instant, se faufile comme une couleuvre, prend sa source je ne sais où, se décharge dans la rivière du Saguenay, déborde au printemps comme s’il n’y avait qu’elle dans le monde, renverse et démolit tout sur son passage, arrache aux collines des monticules entiers de sable, charroie de nombreux billots destinés aux scieries, contient beaucoup de truites