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CHRONIQUES

sur ses bords, la cabane de Willy où nous attendent sa femme Josephte et son fils Maltus, un nom romain qui lui sert à prendre des truites.

Nous n’étions pas partis pour faire la pêche ; j’ai horreur de cet exercice qui exige l’immobilité et une patience ridicule. Tenir pendant des heures une perche à la main et jeter des appâts aux goujons indéfiniment, sans changer de posture, ne me semble pas essentiellement gai. Mais, en revanche, quelle délicieuse chose que de se bercer sur la surface bleue d’un lac, en mêlant la cadence aisée de la rame au petit clapotis de l’eau subitement éveillée ! Nous eûmes bientôt lancé sur l’azur limpide le frêle canot d’écorce, avec Willy au milieu de nous ; les rames, poussées par ses bras de chêne, coupaient la nappe d’eau sans presque y laisser de trace que des gouttelettes pendantes qui tombaient sans bruit. En un instant, nous atteignîmes la première baie, en face d’un petit promontoire flanqué de deux rochers nus, dont l’ombre sourcilleuse se noie dans les profondeurs du lac. Nous gravîmes lentement, saillie par saillie, ce petit cap solitaire dont les parois brûlantes, frappées par le soleil, se répétaient sur l’eau en mille reflets incandescents. Parvenus au sommet, nous nous arrêtâmes pour regarder tout autour de nous.

Dans le silence et l’infini nous étions seuls. L’inconnu semblait agrandir autour de nous sa sphère mystérieuse ; un mirage universel enveloppait le ciel et la terre. Il me semblait voir les collines s’élever lentement, enguirlandées de longues vapeurs baignées de lumière. J’abaissai doucement les yeux sur l’étroit rocher où nous étions debout. En bas, Willy, à moitié