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CHRONIQUES

peintes en vermillon qui portent le Pays dans tous les villages avoisinant la grande métropole canadienne. On nous a raconté l’ébahissement des cultivateurs à la vue de ce véhicule inouï qui promène dans ses flancs le produit de tant d’intelligence hors ligne. On nous a dit leur curiosité, puis leur enthousiasme, puis leur acharnement à se disputer les exemplaires destinés aux dépôts. On nous a dit que le cocher (est-il, lui aussi, peint en vermillon ?) avait toutes les peines du monde à leur faire comprendre la responsabilité qui pesait sur lui, s’il ne livrait pas aux dépôts le nombre exact des exemplaires qui lui étaient confiés.

Mais il parait que le peuple est toujours et partout le même ; il n’entend pas raison et il veut se satisfaire tout d’abord. Il y a plus. On nous apprend que vous avez fait l’acquisition d’une presse qui imprime 4000 exemplaires à l’heure. Si cela est, la circulation du Pays doit être quadruplée depuis qu’il est entre vos mains. En face de ce résultat merveilleux, un seul sentiment trouve place en moi, l’admiration du génie devant la splendeur. Vous renversez toutes mes idées péniblement, très péniblement acquises sur le journalisme canadien. Je m’étais habitué à le voir revêtu de l’éternelle tunique de Job, couvert non pas de lèpre, mais de dettes, ce qui est bien plus irritant ; je me rappelle le temps, et il a duré des années, où cinq à six cents lecteurs, émerveillés de mon style, ne me rapportaient autre chose que l’obligation de demander crédit à mon boulanger. Que de créanciers, assez braves gens du reste, trop peut-être, ont été immolés ainsi aux mânes de l’ancien journalisme !

Ah ! ce n’est donc plus un vain titre que celui