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VOYAGES.

l’on en peut juger par le grand nombre d’éclats de bouteilles qui jonchent le sol tout autour de la station ; mais le voyageur ne se sent pas alléché, et il est bien rare qu’il songe à autre chose qu’à regarder dans tous les sens comme s’il croyait voir l’univers à ses pieds.

L’air, à cette hauteur, est assez raréfié pour que bon nombre de personnes éprouvent une respiration difficile ; il y en a qui saignent du nez, quelquefois même des oreilles ; d’autres se sentent comme une angoisse étrange et subite, un énervement qu’ils ne peuvent maîtriser ; mais toutes ces sensations diverses s’effacent assez rapidement, et le voyageur n’éprouve plus bientôt que le contentement intime d’échapper, ne fut-ce qu’une heure, à la désolation qui a fatigué son regard pendant deux jours entiers.

On ne croirait jamais être sur la crête des Montagnes-Rocheuses, tant l’ascension a été graduelle, et tant les divers sommets s’espacent au loin de façon à ce qu’on s’imagine voir plutôt des pics isolés que les fragments hardis d’une chaîne de montagnes. Le désert cède ici quelques instants la place à la nature dans sa puissance et sa fécondité ; l’eau reparaît sous la forme de ruisseaux où la truite abonde ; les collines et les plateaux s’étalent sous le regard, et la végétation se montre çà et là par quelques taches dorées que l’œil contemple avec une sorte d’étonnement, comme s’il en avait perdu le souvenir.



C’est à ce point culminant des Rocheuses, où l’on peut s’attendre à toutes les excentricités de température, que commencent à paraître les Snow-Sheds et les clôtures qui pré-