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VOYAGES

l’Océan, l’immense mer du sud, le Pacifique qui ne s’arrête plus que sur les rivages du berceau du monde, l’Asie, le plus vaste des continents, le plus peuplé, le plus ancien, et cependant peut-être encore le moins connu.

Enfin, nous voilà arrivés, c’est fini. Il est sept heures et demie du soir ; à huit heures, nous serons dans San-Francisco ; il n’y a plus qu’à traverser la baie qui nous en sépare. Nous avons fait un voyage plein de fatigues et de déceptions ; maintenant, en quelques minutes, tout ce rêve de poussière et de sable s’est enfui ; l’implacable ennui s’est dissipé par enchantement ; les passagers se reconnaissent à peine entre eux ; leur figure s’est épanouie et leur regard éclate ; c’est la délivrance qui leur est apportée ; ils sont sortis de leur prison de fer et de feu, et maintenant ils aspirent avec une poitrine bruyante et enivrée les puissantes senteurs du Pacifique.

San-Francisco apparaît sur le rivage opposé, vaguement enveloppé par les dernières lueurs du crépuscule. L’amphithéâtre inégal de ses collines, que les rues gravissent en ligne droite, semble une image brisée dans le rêve ; tout le monde regarde avec un œil ardent la ville tant désirée ; la brise fouette en plein les visages, et court en frissonnant dans les voiles et les mantilles ; il y a comme un tressaillement de vie nouvelle, et à mesure que le bateau avance, le tumulte qui s’était fait à l’embarquement s’apaise par degrés. Dans ces arrivées aux ports lointains, il y a quelque chose de solennel qui s’impose à toutes les imaginations.