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VOYAGES

Je pris machinalement l’omnibus qui menait à l’hôtel, je traversai plusieurs rues brillantes, animées, où la lumière se déversait comme un ruisseau d’argent, je vis pour la première fois cette foule bigarrée, si diverse, si curieuse, si remuante, qui remplit jour et nuit la ville la plus cosmopolite au monde, et j’arrivai au bout d’un quart-d’heure à un somptueux édifice, situé dans la plus belle rue de San Francisco. C’était le Lick House, où j’allais m’installer et attendre… quoi ? je n’en savais rien, car je n’avais ni ambition, ni but, ni désir ; il me semblait n’être plus qu’une machine obéissant à une impulsion inconnue, mais fatale, irrésistible.

Je montai et pris ma chambre qui donnait sur un vaste carré de l’hôtel ; il n’y avait donc devant moi ni vue, ni horizon, rien que la morne silhouette de quatre murs percés de croisées. Lorsque je me vis seul, bien seul dans ce tombeau, et que je pensai que vraiment douze cents lieues me séparaient de ma pauvre patrie, de mes amis, de ma famille perdue sans retour,… Oh ! pardonnez-moi, vous tous qui me lisez, pardonnez-moi si tant de faiblesses viennent à chaque instant interrompre le cours de mon récit… en ce moment le monde se déroba sous moi, des ténèbres poignantes m’enveloppèrent de toutes parts, le vide immense, le vide affreux s’entr’ouvrit brusquement, je m’affaissai sur mon lit, et là, un torrent de sanglots comme jamais n’en versa âme humaine jaillit de ma poitrine brisée.

Hélas ! où étais-je donc, moi qui, quelques semaines encore auparavant, croyais l’avenir si sûr et tenais sous ma main de si faciles espérances ? Perdu, isolé comme le dernier