Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
CHRONIQUES

passage, les têtes les plus hautes sont celles qui tombent les premières, et elle se hâte de frapper les cœurs les plus vaillants, comme si elle craignait de s’attendrir aux sanglots qui retentissent autour d’elle.

Pauvre cher Lucien ! Eh bien ! non, la mort n’a pas tout fait encore. Elle ne nous ôtera pas cette heure où nous nous rassemblons tous autour de ton lit funèbre avant qu’on te descende dans cette fosse glacée qui t’attend. Tous, tous tes amis sont autour de toi en ce moment pour presser encore une fois ta pauvre main amaigrie par une année de souffrances ; jusqu’à ton dernier jour tu pensas à nous ; jusqu’à notre dernier jour, nous penserons à toi ; nous nous rappellerons combien tu étais bon, généreux, sympathique, discret, dévoué ; tu ne savais pas que tu avais une santé à conserver, et c’est peut-être cela qui t’a fait mourir. Tu te serais tué par le travail, si la mort jalouse ne se fût hâtée de mettre sur ta route un piège inattendu où tu es tombé tout entier, à l’heure où l’avenir t’enveloppait de ses plus brillantes caresses, et tes amis de leur plus chaude affection. Tu pouvais tout espérer et atteindre à tout, car, avec l’âme, tu avais l’intelligence et la science ; tu brillais au premier rang d’un groupe d’élite, et la fortune te ménageait le plus rare de ses bienfaits, celui de ne pouvoir faire d’envieux.

Tu n’as pas eu le temps de rien laisser de toi que le vide irréparable que fait ta mort dans nos rangs et nos éternels regrets. La renommée avait déjà promené ton nom de bouche en bouche, et la gloire t’attendait avec de frais lauriers mais tu n’as pu arriver jusqu’à elle, et, peut-être, Dieu dédaignait-il pour toi cette gloire profane, indigne de ses élus : tu es mort avec la gloire bien plus noble et bien plus haute,