Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/281

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
284
CONFÉRENCES.

misérables taudis lézardés, crasseux, noircis, suintant la moisissure, pendant que des espaces entiers, et de vastes espaces, restent vides de toute construction ; à chaque pas, on heurte des décombres ; des restes de maisons, et d’autres devenues inhabitables et abandonnées, se dressent partout sous les yeux ; des vieilleries de toute espèce jonchent ce sol si jeune où devraient s’ouvrir les vastes avenues et les vivantes artères d’une ville de cent cinquante mille âmes ; nous vivons, nous, habitants d’un monde nouveau, comme les fossiles d’un monde ancien ; nous desséchons sur pied et nous restons renfermés dans nos murailles comme des momies dans leurs bandelettes, attendant que nous n’ayons plus absolument rien à faire que de pleurer sur tant de débris qu’un souffle de volonté et de détermination suffirait à convertir en splendeurs.

Voyez nos hôtels, ils sont vides ; les rues ne montrent jamais que les mêmes figures, le plus souvent oisives, comme fatiguées de leur monotonie réciproque ; rien ne vit, pas d’animation, on n’ose remuer de crainte de faire des faux pas. Le capital est défiant, jaloux, toujours sur ses gardes, détestant le nouveau, ne voulant rien favoriser : le commerce est craintif, il suit son sillon tête baissée, yeux fermés, avec l’effroi des routes inconnues. La hardiesse et la conception sont des témérités bien près d’être des folies ; ceux qui peuvent beaucoup ne font rien, et ceux qui feraient beaucoup ne peuvent rien…… et, tout cela, pourquoi ? Pourquoi ? parce que Québec, privé de communications l’hiver, avec le monde extérieur, vit durant six mois de sa propre substance, absolument improductif pendant cette morte saison qui dure la moitié de l’année, incapable même de rien préparer pour la belle saison qui suivra.