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le préjugé.

ment soit fatalement lourd et obtus, ni qu’un autre, ayant l’esprit, l’imagination ou la mémoire en partage, soit un écervelé, un exalté, et qu’on ne puisse reposer aucune foi dans son bon sens. Il en est ainsi cependant, et vous vous trouverez invariablement victime de l’une ou de l’autre défiance, suivant que vous avez l’un ou l’autre de ces dons.

Je m’arrête ici dès le commencement de cette revue des travers humains, pour ne pas me laisser entraîner sur une pente sans fin. Que de choses il y aurait à dire sur les préjugés de race, de secte, de classe !…… etc……… Beaucoup, beaucoup de choses pour et contre : car si les préjugés sont des écarts de la raison, certaines conditions sociales étant données, ces écarts sont nécessaires, légitimes, louables même. Sans eux, les hommes ne s’attacheraient ni ne se dévoueraient à rien ; il n’y aurait plus ni patriotisme, ni conviction, ni amour, la plupart des vertus mêmes disparaîtraient, et l’humanité serait tirée au cordeau, scientifiquement dressée, mais tout prestige, toute illusion, tout charme en seraient bannis. St. Paul disait : « Il est nécessaire qu’il y ait des hérésies » ; de même pouvons-nous dire : « Il est nécessaire qu’il y ait des préjugés. » Bien des erreurs sont douces et chères ; et bien des travers, bien des ridicules apportent plus de joies et de consolations au pauvre genre humain qu’ils ne lui causent de souci.

Tant que nous ne serons pas parfaits, ayons des préjugés ; mais efforçons-nous de les borner exclusivement au domaine des mœurs, des usages, des habitudes, et bannissons-les de celui de l’intelligence ; attaquons surtout ceux qui se parent de la raison elle-même pour la défigurer et défions-nous bien des proverbes.