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CHRONIQUES

l’on plonge et où l’on saute comme si tout le monde était pris d’attaques de nerfs, par l’impossibilité de traverser les rues sans recevoir dans les narines d’énormes jets de boue qui vous asphixient en deux minutes, enfin par la compagnie du gaz qui conspire avec le climat et avec la corporation pour démolir aux citoyens les quelques membres que le rhumatisme leur a épargnés, par la compagnie du gaz, dis-je, qui a fait un contrat avec la lune sans tenir compte des nuages qui la couvrent, des pluies qui la ternissent, enfin, des mille caprices de cet astre inconstant qui refuse ses rayons aux endroits impassables, vraie coquette jesteuse qui ne veut que briller à son aise et qu’on l’admire, au moins dans de grandes rues, quand elle se montre dans son plein.

Tout est contre ces pauvres habitants de Québec, jusqu’aux astres ; ils n’ont pas de soleil l’hiver, et l’été, la lune leur ménage autant d’inquiétude que de lumière. Évidemment, ils ont conservé beaucoup de l’héroïsme et de la ténacité de leurs ancêtres pour n’avoir pas émigré déjà tous ensemble à la Colombie anglaise, ce pays unique qui, à peine né, trouve dans son berceau un chemin de fer de mille lieues, quand nous, qui sommes de beaucoup ses aînés, ne pouvons obtenir que par une lutte acharnée, presque sanglante, le chemin de colonisation du nord qui n’a que 50 lieues, et qui n’a rien à craindre des buffles ni des Sioux.

Et pourtant, c’est un cher et beau petit nid, dans son désordre et dans sa pauvreté, que Québec, nid dépouillé, nid de feuilles flétries, soit, mais qu’on ne quitte jamais sans en être arraché et où l’on revient toujours ramené par son cœur. Qu’on aille à Montréal, à New-York, à