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L’OUTAOUAIS SUPÉRIEUR

Mais il est évident que je présumais beaucoup trop de mes forces, que j’étais loin encore de comprendre la grandeur de mon sujet, et que je n’avais pas mesuré l’abîme qu’il y a entre des impressions profondes et le pouvoir d’en pénétrer le lecteur par le coloris et l’énergie de l’expression. Vouloir peindre le Nord me semble demander un effort excessif, dont je me sens d’autant plus incapable que mes forces, lasses de s’être portées longtemps sur des objets divers, me secondent péniblement aujourd’hui que je leur fais appel pour une entreprise dont le succès ferait mon orgueil et ma gloire.

C’est que le Nord, ce Nord immense, jadis impénétrable, aux proportions colossales, sombre et souvent terrifiant dans ses aspects, autant que d’autres fois il déborde de douceur et de mélancolie, semble avoir gardé l’empreinte primitive d’une grandeur à lui propre, toute spéciale, qu’on ne retrouve nulle part, grandeur souveraine qui défie l’imagination, qui repousse comme une témérité inexcusable, comme une profanation puérile toute tentative d’en reproduire une image même affaiblie.

On ne peut ni le saisir ni l’embrasser dans un cadre. Ses horizons sont trop vastes ; et pendant que le regard cherche à le fixer et à le retenir, il grandit incessamment devant lui, s’élève et gagne de plus en plus la nue, comme une lente et solennelle