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prendre d’autres, ne sachant comment se tirer d’affaire, il se risqua à pousser jusque dans le couvent. Les longs et calmes corridors s’étendaient devant lui ; pas un mouvement ne s’y faisait, pas une ombre, pas même un souffle n’y glissait. C’était muet comme la tombe, et cependant cela était vivant ; ces passages éclatants de propreté, ces murs blancs, ce parfum prude qui se dégage des habitudes douces et paisibles, semblable à la fraîcheur chaude qui sort des fleurs après l’orage, les portes entr’ouvertes, le jour tendrement ménagé, tout cela sentait la vie, mais où étaient les vivants ? Ne sachant plus bien ce qu’il faisait, inquiet presque, dans tous les cas voulant se tirer d’affaire à tout prix, l’audacieux intrus poussa une des portes qui donnaient sur le corridor. Il y avait là trois religieuses en train de tricoter. À la vue de ce monstre, ensemble elles poussèrent un cri, et s’enfuirent épouvantées, croyant que le diable lui-même était à leurs trousses. C’est notre faute, Messieurs ; dans toutes les gravures, nous donnons invariablement au diable les formes de l’homme, sauf un appendice caudal qui est de luxe, et certains détails… de physionomie qui le sont encore plus.

Du reste, c’est à force de nous voir que les dames ne nous prennent pas pour des monstres ; les religieuses, qui n’ont pas cette habitude, s’y méprennent aisément ; épouvantables pour celles-ci, quelquefois dangereux pour celles-là, vous voyez que notre sort est encore susceptible de réforme.

Notre individu, effrayé à son tour, se mit à courir aussi, mais en sens inverse, ou plutôt dans tous les sens, tellement qu’il ne tarda pas à se perdre dans le dédale des passages. Enfin, après avoir erré de ci de là, cherchant partout une issue, il se trouva presque nez-à-nez avec une sœur qui, plus courageuse que les autres, s’était aventurée à la poursuite du monstre, et qui l’amena devant la Supérieure.