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L’officier anglais, portant un pavillon blanc, était à peine débarqué, qu’on lui mettait un bandeau sur les yeux et qu’on le conduisait au fort, par toute sorte de détours, pour qu’il entendît le bruit des préparatifs de défense qu’on faisait et qu’il sentît le nombre des obstacles qui barraient le chemin de la Haute-Ville. (Il était resté beaucoup de ces obstacles jusqu’au pavage de la côte l’année dernière, toujours par amour de l’antique). Tout ce qu’on put imaginer pour tromper l’officier anglais et lui faire croire que la garnison était nombreuse, on le fit, jusqu’à ce qu’enfin, tout-à-coup, le bandeau fut enlevé de ses yeux… il était dans le fort même, en présence du gouverneur, de l’évêque, de l’intendant et du brillant état-major français en grand uniforme. Immédiatement, il tendit sa sommation, qui, traduite aussitôt en français, fit dresser d’indignation et de colère tous les officiers réunis. L’un d’eux voulait même qu’on traitât le parlementaire comme l’envoyé d’un corsaire ; mais le comte de Frontenac, obligé de se contenir, répondit simplement qu’il ne reconnaissait même pas le roi d’Angleterre d’alors, ci-devant prince d’Orange, qui avait usurpé le trône sur le dernier des Stuarts réfugié en ce temps là à la cour de France ; que, quand bien même Phipps offrirait de meilleures conditions, il ne pouvait les accepter ni placer la moindre confiance dans la parole d’un homme qui manquait de loyauté envers son propre souverain, et qui avait oublié tous ses bienfaits pour suivre la fortune d’un étranger…

L’envoyé de Phipps demanda alors que cette réponse fût mise par écrit : sur quoi Frontenac l’arrêtant : « Ma réponse, s’écria-t-il, je vais la faire par la bouche de mes canons. Allez dire à votre maître que ce n’est pas de cette manière que l’on somme un homme comme moi. » Cette fière réponse restera comme une de ces paroles héroïques qui traversent tous les âges et dont le souvenir devient