Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
126

Le Pays semble entreprendre en Canada la tâche déjà en voie de progrès aux États-Unis et en Angleterre, la réhabilitation sociale et intellectuelle de la femme.

Moi, j’aime passionnément les femmes ; c’est pourquoi je suis heureux de toutes les occasions d’en dire du mal.

Je dirai donc qu’il est grandement temps d’élever la femme au niveau de l’homme, si nous ne voulons pas que l’homme descende au niveau de la femme.

C’est par la femme que nous sommes ce que nous sommes, contrairement à ce qu’enseigne la Genèse qui fait sortir la femme de la sixième côte de l’homme. Entre parenthèses, je n’ai jamais compris comment la femme, être doux, tendre, malléable, élastique, souple, ondoyant, pût sortir d’une côte, et surtout de celle d’Adam, qui, parait-il, avait les côtes très dures, puisqu’il a vécu neuf cents ans.

Après je ne sais combien de siècles de domination déguisée sur l’homme qui se croyait le plus fort et le maître, la femme n’a plus maintenant que deux conditions possibles, être notre esclave ou notre égale.

J’aimerais bien qu’elle fût notre esclave, pour nous venger. Mais toutes les fois qu’on a voulu faire un esclave de la femme, on a fait de l’homme une brute.

Il faut donc qu’elle soit notre égale.

Ce n’est pas déjà très-beau que d’être l’égal de l’homme, et je ne vois pas là un objet d’ambition insaisissable.

Je connais quantité de singes, de chacals, de bouledogues, qui valent infiniment mieux que la moitié des hommes. N’envisageons que la classe intelligente et cultivée, l’homme tel que l’a fait la science et la civilisation.

Cet homme-là est beaucoup trop au-dessus de la femme. Mais à quoi doit-il cette supériorité ? Est-elle naturelle, est-elle légitime ? La doit-il à l’éducation ou à la force ? Il a commencé par l’une et il a fini par l’autre.

L’homme, à l’origine, gros animal féroce, épais, grossier, s’adjugea la domination. Plus tard, il la conserva, mais en s’en rendant digne. Il fut roi et maître par l’étude et par la science : mais jamais il ne lui vint à l’idée d’associer la femme à ses travaux, comme à ses plaisirs et à ses passions.

La femme resta donc un être secondaire, passif, obéissant, plus ou moins machine, papillon et moucheron, fleur et venin, rosée et fange.

Voyez-vous comme nous sommes stupides. Nous souffrons encore bien plus que la femme des droits et privilèges que nous lui avons