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On vient de bénir à Rome les chevaux, les moutons et les ânes ayant à leur tête l’évêque de Montréal que son émotion étouffait, et qui n’arrivait que de temps à autre à faire entendre ces mots entrecoupés, mais sympathiques : « Révérendissimes bêtes…. Chères ouailles…. »

Je ne puis mieux faire, pour donner une idée de cette cérémonie, que de reproduire un passage d’une lettre adressée au Franco-Canadien par un zouave pontifical, et que le Nouveau-Monde a pris la peine de reproduire dans ses colonnes, comme s’il avait besoin d’aller chercher ailleurs des platitudes et des bouffonneries à désarticuler le lecteur.

Je dois dire pour ma part qu’en lisant cet amas d’inepties propres à arrêter court un troupeau de buffles au grand galop, j’ai eu d’affreuses attaques de nerfs qui durent encore après trois jours ; je vais m’en guérir en vous les passant, chers abonnés.

Écoutez-moi ça.

« Oui, à Rome on bénit les chevaux et avec grande pompe par dessus le marché.

« C’est le jour de la saint Antoine que s’accomplit cette cérémonie. Comme tout ce qui touche à la religion, cet acte revêt un caractère de grandeur et de dignité qui nous étonne, nous étrangers, qui ne sommes pas accoutumés à ces pratiques pieuses et pleines d’intelligence. Tous les cochers de Rome veulent faire bénir leurs chevaux, les mules du pape elles-mêmes viennent les premières recevoir cette bénédiction. (Pour donner le bon exemple.)

On couvre de fleurs ces pauvres bêtes sans intelligence, et c’est avec la parure la plus brillante et la plus riche possible qu’on les mène sur la place de l’église Saint-Antoine, où un prêtre revêtu du surplis, de l’étole et de la chape, récite les prières accoutumées de la bénédiction. Les protestants, quelques uns du moins, trouvent cela ridicule ; ils y voient de la bigoterie, de la superstition. Les Romains les laissent dire et n’en sont que plus fermes dans leur croyance à l’efficacité de cette bénédiction. Le fait est qu’à Rome où tout prête aux accidents, il n’en arrive presque jamais. On en conclut, non sans raison, que la bénédiction de saint Antoine a d’excellents effets.

De la bénédiction des chevaux passer à celle des agneaux est, ce me semble, une transition fort naturelle, et en cela, on ne me reprochera pas de manquer d’ordre.

C’est le 21 janvier, fête de sainte Agnès, qu’a eu lieu cette cérémonie vraiment admirable dans sa naiveté touchante. La charmante église de sainte Agnès hors des murs était littéralement remplie. Pendant que le cardinal Barilli offrait le saint sacrifice de la messe, on s’occupait à la sacristie de deux petits agneaux, on les préparait à les rendre dignes de l’honneur qui les attendait.

Les curieux allaient voir ces belles petites bêtes dont la toison plus blanche que la neige de nos montagnes doit servir à confectionner le pallium, insigne de la juridiction archiépiscopale. Jamais mortel ne reçut plus de caresses dans toute sa vie que ces deux petits