Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
111

Je tremble à l’idée que, rendu si loin en indépendance d’esprit, je pourrais dire en orgueil, vous succomberiez probablement à la tentation de ne pas vouloir vous soumettre à l’autorité du chef de l’Église lui-même ! Je ne vous nie pas le droit d’en appeler à cette divine et suprême autorité, mais sachez, monsieur, qu’en attendant son jugement définitif, comme tout catholique dans le monde devrait faire en une circonstance comme celle où vous vous trouvez, vous devriez humblement vous soumettre à votre Évêque et que vous ne pouvez vous dire catholique qu’à cette condition ; sachez de plus, monsieur, que si vous tombiez malade, votre curé et tout prêtre qui pourrait se transporter à sa place auprès de votre lit de mort, devrait vous refuser l’absolution et les autres sacrements, si vous aviez le malheur de maintenir les prétentions affichées dans votre lettre.

Il y a trois pays au monde où un évêque peut tenir ce langage, le Kamskatka, le Spitzberg et le Canada. Aussi quelle jouissance ce doit être pour le clergé canadien que cette omnipotence dont il jouit, et combien il doit être jaloux de la moindre atteinte qui lui serait portée ! Si elle dure encore dix ans, il est une chose certaine, c’est que les habitants du Canada retourneront à l’état de singes non perfectionnés, ce qu’étaient tous les hommes il y a trois cent mille ans.

« Obéissez, obéissez ; il n’y a pas de résistance devant Dieu. Or, nous sommes Dieu, nous : nous avons son infaillibilité, et de droit divin nous seuls commandons aux hommes qui sont un troupeau de bêtes. (Du moins notre mission est de les rendre tels, ce qui, certes, n’est pas difficile au moyen des images, des miracles…) Courbez-vous ; devenez des automates, des ânes, des brutes, et vous serez bons catholiques. » — Mais quoi ! Dieu n’a-t-il pas mis en moi une intelligence et n’a-t-il pas frappé mon front du sceau immortel de la raison, afin que je comprenne et que je marche le regard dans les cieux ? Le fouet est fait pour le mulet, et non pas pour l’homme. Moi, je veux savoir, et non pas obéir. Savoir, c’est se rapprocher de la divinité ; et vous, vous voulez m’en éloigner, vous qui vous dites les représentants de Dieu et qui le rabaissez à votre niveau, qui le faites stupide, ignare, cruel, aveugle, imbécile, afin de vous l’assimiler ! Je veux la lumière, et vous m’entraînez dans une nuit épaisse où tout est mystère pour moi, en me disant qu’il en est ainsi afin que je sois convaincu de ma faiblesse et du pouvoir que, seuls, vous avez de conduire les hommes.

Allons ! montrez-moi donc le signe olympique qui fait de vous des dieux sur la terre. Je regarde dans votre œil, j’y cherche l’éclair céleste, et je n’y vois que le rayon oblique du mensonge. Non-seulement vous avez fait de la terre votre empire, mais encore vous usurpez l’éternité et la dispensez aux âmes crédules, abruties d’avance par vous, moyennant quelques simagrées hypocrites et quelques ridicules grimaces auxquelles vous donnez la bénédiction. Jongleurs, artisans d’ombre, fabricants de fausses clefs pour les verroux du paradis, arrière, laissez l’homme libre afin qu’il grandisse ; et si vous ne pouvez le suivre, ne cherchez pas du moins à le retenir.