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puisqu’il s’agit de tenir en vigueur le plus cher des rois ; prenez, sire, mademoiselle de Fontanges, et Votre Majesté ne péchera plus qu’à demi.

À l’exemple de Mme de Sévigné, qui ne reculait pas devant les mots crus qui peignent nettement les choses, Mme de Montespan, en apprenant cette transaction de casuiste, s’écria furieuse : « Oh ! ce père Lachaise n’est qu’une chaise de commodité. » Le mot resta et devint le surnom de l’ingénieux confesseur.

Les facilités religieuses que les prêtres accordaient aux souverains leur étaient amplement rendues en concessions plus positives. D’ailleurs l’Église eût été mal venue à exiger plus d’austérité dans les mœurs des souverains. Le long règne de Louis XIV vit passer la tiare sur la tête de huit papes dont aucun ne saurait être canonisé pour sa chasteté ; le plus impudique de tous fut Innocent X, Panfili, qui prit pour sa concubine la femme de son frère, la fameuse Olympia. Elle exerçait un empire absolu sur l’esprit du souverain pontife ; elle faisait annuler les décisions prises par le sacré collège quand elle n’avait pas assisté à ses réunions.

Innocent X fit construire pour sa favorite la villa Panfili (la plus belle villa de Rome), dont les frais ombrages couronnent la cime du Janicule.

Le pieux Racine, dans ses Fragments historiques, raconte l’anecdote suivante, qui peint à la fois la vénalité de la Panfili et les us et coutumes des prélats romains :

« Alexandre VIII, né à Venise, n’étant encore que monsignor Ottoboni, et ayant grande envie d’être cardinal sans qu’il lui en coûtât rien, avait un jardin près duquel la dona Olympia venait souvent. Il avait à la cour de cette dame un ami, par lequel il obtint d’elle qu’elle viendrait un jour faire collation dans son jardin. Il l’attendit en effet avec une collation fort propre et un très-beau buffet tout aux armes d’Olympia ; elle s’aperçut bientôt de la chose et compta déjà que le buffet était à elle ; car c’était la mode de lui envoyer des fleurs ou des fruits dans des bassins de vermeil doré, qui lui demeuraient aussi.

« Au sortir de chez Ottoboni, l’ami commun dit à ce prélat qu’Olympia était charmée et qu’elle avait bien compris son dessein galant. Celui-ci mena son ami dans son cabinet et lui montra un très beau collier de perles, en disant : ceci ira encore avec la crédence, c’est-à-dire avec le buffet. Quinze jours après il y eut une promotion dans laquelle Ottoboni fut nommé, et il renvoya aussitôt le collier de perles chez le marchand et fit ôter de sa vaisselle les armes d’Olympia.

« À la mort d’Innocent X, sa favorite fut exilée par le pape Alexandre VII. Le fils d’Olympia hérita de son immense fortune, qui passa par la suite dans la famille des princes Doria. »