Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/17

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Voici ce que je lis dans un journal anglais :

On demande une servante pour une petite famille qui emploie déjà un domestique mâle. Le ménage et la cuisine sont faits entièrement par les membres de la famille. Le maître de la maison se lève de bonne heure, mais prépare le déjeuner lui-même. Le blanchissage se fait en dehors de la maison, et la cuisine est pourvue de tout ce qui fait le comfort et le luxe ; la viande froide et le hachis sont scrupuleusement bannis de la maison. — On donnera n’importe quels gages ; money is no object. On échangera en outre sa photographie.

On ne dit pas s’il y a une Lanterne dans la cuisine de la petite famille. Maintenant que la mienne est connue, les servantes vont devenir d’une exigence !… J’y verrai… patrons.

Sir Narcisse Fortunat Belleau, lieutenant-gouverneur de la province de Québec, est venu à l’Exposition la semaine dernière. (Je ne puis me résoudre à l’appeler Son Excellence, malgré toute l’envie que j’en aie, parce que je suis colon, et tant que je serai colon, je veux prouver ma loyauté par mon obéissance.)[1] La Minerve s’exprimait ainsi au sujet de cette visite :

En allant sur son passage contribuer à un accueil enthousiaste, nous aurons fait parvenir à Sa Gracieuse Majesté l’expression de notre inébranlable loyauté, et, en même temps, nous nous serons honorés à nos propres yeux, puisque ces hommages s’adressent à un digne et sympathique compatriote.

Nous l’avons déjà dit, l’arrivée de son Excellence le lieutenant gouverneur de la Province de Québec à Montréal est une grande et solennelle occasion où il nous sera donné de nous affirmer, et pour avoir droit d’espérer de l’avenir, nous devons nous affirmer.

Je ne sais pas si sa Gracieuse Majesté est abonnée à la Minerve, ni si elle a quelque autre moyen de connaître chaque mouvement de Sir Narcisse ; il peut se faire même qu’il lui échappe quelque détail, malgré le retentissement que va avoir en Europe notre exposition provinciale, retentissement qui poursuivra la reine partout, dans tous ses voyages, car en Angleterre on ne parlera que de cela pendant bien longtemps. Mais enfin, si cette expression de notre inébranlable loyauté ne lui parvenait pas, il nous resterait toujours la consolation de nous être honorés à nos propres yeux et de nous affirmer pour avoir droit à l’avenir.

Le marchand qui ne peut pas vendre sa marchandise la garde pour lui-même ; c’est une grande consolation, mais qui mène droit à la banqueroute.

Il paraît que jusqu’à présent nous n’avons pu nous affirmer, et qu’il a fallu une visite aux moutons et aux bœufs de la rue Sherbrooke pour nous donner droit à l’avenir. Il y avait bien avant cela la Confédération, mais qui ne donne pas de droits ; au contraire, elle en ôte. C’est pour cela qu’il fallait nous rattraper. Aussi, une population immense de vingt-deux personnes entassées dans sept voitures,

  1. Le titre officiel accordé au lieutenant-gouverneur par le gouvernement impérial était tout simplement « Son Honneur » et non pas « Son Excellence » ; mais on lui prodiguait ce dernier titre par habitude de la flagornerie.