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Voici ce qui vient de se passer en 1868, dans cette France qui les avait déjà repoussés de son sol, il y a plus de cent ans.

On verra où mène une éducation donnée par des Jésuites et quels instruments merveilleux ils ont été pour l’avilissement de la génération française actuelle, quel secours ils ont apporté au despotisme en étouffant de bonne heure dans l’âme des enfants l’instinct même de la dignité, la révolte naturelle contre l’oppression.

TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE BORDEAUX


Audience du 14 décembre, 1868.
affaires des pp. jésuites de l’école de tivoli

Le premier témoin entendu est le jeune Joseph Ségéral, âgé de treize ans et demi. Il dépose :

« J’étais élève de l’École des PP. Jésuites de Tivoli. Le 22 novembre dernier, à l’étude du matin, j’eus une querelle avec un de mes voisins, le jeune de Larrard. Comme cette querelle attira l’attention du surveillant et que j’avais donné un coup à mon camarade, je fus réprimandé. À l’étude de onze heures, la querelle reprit. Il s’agissait d’une somme de 75 centimes que de Larrard me devait, et que je lui réclamais. Il ne voulait me donner que 50 centimes, me demandant délai pour le reste. Dans notre dispute, je relevai brusquement le coude qui le frappa au nez et le fit saigner. De Larrard me rendit le coup, et le surveillant intervint pour nous corriger tous les deux manuellement. Presque aussitôt après je fus mis au cachot, où je restai jusqu’à dix heures du soir sans avoir reçu que du pain sec à quatre heures et à huit heures, bien que je n’eusse rien pris depuis le matin, à sept heures et demie, et qu’à deux heures j’eusse demandé de la nourriture et de l’eau. Le cachot où j’étais ne prenait jour que par une fenêtre qui éclaire le corridor où il touche. Le sol est bitumé. Il n’y avait aucun siège, aucun meuble, rien qu’un vase de nuit.

« À dix heures, le P. Commire, sous-préfet des études, vint me trouver. Il me dit d’ôter mon pantalon. Je voulus obéir, mais mes souliers m’en empêchaient. Le Père me dit alors d’ôter aussi mes souliers. Lorsque cela fut fait, il retroussa ma chemise et m’administra plusieurs coups de discipline avec une grande violence. Exaspéré par la douleur, j’essayai de lui résister et je lui échappai en me réfugiant dans le corridor voisin, et de là dans la chambre à coucher du P. de la Judie, préfet des études, que je trouvai lisant. Ce père me remit entre les mains du P. Commire ; je fus jeté sur le lit ; le P. Commire étouffait mes cris, soit en me fermant la bouche, soit en me pressant contre les matelas. En même temps, il me fustigeait très-fort avec la même discipline. Le P. Peitrasson était présent. Quand