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mentir, c’est trop dangereux : et puis, un enfant ne sait pas bien mentir.

Mais on le laisse libre de dire tout ce qu’il voudra, sans lui défendre de dire autre chose que ce qui est vrai. On le prépare à répondre évasivement, à dissimuler, à atténuer ce qu’il y a de trop compromettant :

« Nous vous tenons lieu de père, mon enfant, nous remplaçons Dieu pour vous ; rappelez-vous tout ce que vous nous devez, combien il est dangereux de répandre l’esprit de révolte chez vos camarades en écoutant vos ressentiments secrets. Quel mauvais exemple vous deviendriez, et quel tort vous feriez à cette sainte maison où votre enfance a trouvé un refuge contre les mauvaises tendances de notre époque… »

Et l’enfant, endoctriné, presque effrayé, à qui on ne recommande pas directement de mentir, mais d’être faux et de déguiser la vérité, répond tout ce qu’il veut.

Poursuivons.

Quatrième témoin. — Léon de Montfort, 13 ans et demi, de l’école des PP. Jésuites, à Tivoli. Un jour de l’année dernière, comme je venais de commettre une faute grave, après en avoir commis un certain nombre depuis très-peu de temps, je demandai au P. Commire de me châtier en m’administrant des coups de discipline. Il a fait ce que je lui demandais, il me les a donnés. (Hilarité.)

C’est un plaisir comme un autre, et les Jésuites tiennent à être agréables à leurs élèves. Ils ont pour tactique, très habile du reste, de ne jamais contrarier les goûts de ceux qu’ils dirigent.

C’est cette tactique qui encombre leurs confessionnaux de pénitentes. Ils sont indulgents, faciles, pleins de compromis, se font à tout, composent avec les faiblesses humaines et savent tout encourager en pardonnant tout.

Mais on peut voir combien vite ils arrivent à dégrader les esprits et les cœurs, par l’exemple de cet enfant qui demande lui-même à être traité par le fouet, comme la brute.

D. Mon enfant, si ce que vous dites là est vrai, il faut avouer que vous êtes l’écolier le plus extraordinaire, le plus singulier, le plus excentrique, non-seulement de Bordeaux, mais encore peut-être du monde entier. Comment ! c’est vous qui demandez à votre maître de vous administrer le fouet ! c’est vous qui priez qu’on veuille bien vous fouetter ! — R. Oui, monsieur.

D. Et vous avez reçu, avez-vous dit dans l’instruction, soixante coups de fouet ? — R. Oh ! ceci est bien sans doute un peu exagéré. Je ne pense pas en avoir reçu autant.