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LA LANTERNE


No 18




Un tout jeune homme des environs de Montréal, orphelin, sans ressources, avait été recueilli chez son frère qui, par compensation, le rossait de coups le jour, et, la nuit, le faisait coucher dans la grange. Il arriva que ce jeune homme trouva un bon emploi l’été dernier, malgré qu’il fût infirme, tout tordu, tout bossu, repoussé par tout le monde,… mais c’était chez un protestant !

Comme on lui demandait comment il trouvait son sort : « Ah ! je suis bien heureux, répondit-il, d’avoir trouvé un protecteur comme le mien, mais il y a une chose qui me fait bien de la peine, c’est qu’un homme qui fait tant de bien dans sa vie, ira, après sa mort, dans le corps d’un pourceau. M. le curé m’a dit qu’un protestant, qui mourut l’autre jour, était rentré dans un porc ; j’ai vu le porc. »

D’où il suit que ce bon catholique qui assomme son petit frère de coups et l’envoie coucher parmi les bœufs, jouira d’une félicité sans bornes dans l’autre monde, mais que le protestant qui l’a accueilli, nourri, logé et payé, ne servira qu’à faire du lard pour les curés du Canada.

Le pourceau fait naturellement songer à l’œuvre de la Sainte Enfance.

Vous savez que les Chinois, lorsqu’il leur naît des enfants, ont la curieuse manie de les jeter dans des ruisseaux où les cochons viennent les manger ; de là vient que les cochons chinois que vous avez pu voir dans les expositions ont cet embonpoint gracieux, ces formes coquettes et ce poil soyeux qui les fait de suite reconnaître.

Dame aussi, ils se traitent bien. Manger des enfants, c’est un luxe, et je connais bien des riches qui ne peuvent pas se le payer.