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Ces représentants, que sont-ils ? Une seule chose : ils sont l’image d’une ombre qui est nous, Canadiens-Français.

Hier, la ville de Montréal élisait ses conseillers municipaux.

On vit alors des vieillards près de la tombe donner en tremblant leurs votes payés.

Dans un quartier exclusivement canadien, un anglais a failli être élu.

Je ne m’occupe point de la nationalité du candidat, et je serai très heureux le jour où l’on élira indifféremment un anglais, un irlandais ou un canadien, mais remarquez qu’un pareil exemple ne se voit pas chez les autres races.

Quel est le canadien qui oserait se présenter à des électeurs anglais, et si cet homme existait, de quel œil le verraient-ils ?

Les Anglais ne sont pas encore descendus et ne descendront pas à reconnaître qu’ils ne peuvent trouver un des leurs pour les représenter, mais nous, nous y sommes depuis longtemps.

On a dit que nous étions la race inférieure.

Il n’y a pas de race inférieure, mais il y a dans le monde un peuple qui fait tout en son pouvoir pour démontrer que cette race existe, et ce peuple, c’est nous, et cette race, ce serait la nôtre.

Par quelle suite de chutes, par quels abaissements successifs, par quelles déchéances de plus en plus profondes, en sommes-nous venus à ne plus compter sur notre propre sol, à n’être plus rien, même à nos propres yeux ?

Pourquoi ? Voilà le mot répété bien des fois depuis quelques années ; grand nombre de gens soupçonnent le parce que, mais il leur fait peur.

À moi il appartient de le dire.

Nous ne sommes plus un peuple, parce que depuis un quart de siècle nous avons abdiqué entre les mains des prêtres toute volonté, toute conduite de nos affaires, toute idée personnelle, toute impulsion collective.

Cette abstraction de nous-mêmes a été poussée si loin qu’aujourd’hui elle est devenue notre nature d’être, que nous n’en concevons pas d’autre, que nos yeux sont fermés à l’évidence, que nous n’apercevons même pas le niveau d’abaissement où nous sommes descendus, et que nous considérons comme une bonne fortune unique de n’avoir plus la charge de nos destinées.