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pour labourer, au premier sillon creusé, l’homme et les bêtes furent frappés d’immobilité, sans qu’aucune puissance humaine pût les faire remuer ; je ne me rappelle point s’ils ont hiverné sous la neige.

« Si ces récits peuvent vous servir, profitez-en ; ils sont vrais : Croyez-moi bien sincèrement un ami de votre cause. »

DES ODEURS SPIRITUELLES


Il est une expression, — je ne sais si elle est encore en usage à la cour de Rome, mais elle l’était à coup sûr du temps de Louis XIV, et on la trouve dans Saint Simon. — On disait et on dit encore un cardinal in petto, c’est à dire dans la poitrine, dans le cœur, dans la pensée du pape. On lit dans Saint Simon, plusieurs fois : « Le saint-père fit savoir au roi que, pour lui être agréable, il ne tarderait pas à expectorer tel ou tel évêque recommandé par la cour pour le chapeau rouge. » Ce mot ne se dit dans le langage mondain qu’en pharmacie. Il est une autre forme métaphorique dont on a abusé au point de lui donner un corps et d’en faire une réalité, c’est l’odeur de sainteté ; cela, pendant longtemps, je le répète, n’a été qu’une formule métaphorique  ; ainsi on dit à chaque instant dans les affaires de canonisation « l’odeur des vertus. »

Dans la vie de saint François-de-Paule on lit que ses disciples, les minimes, sont, « la bonne odeur de J. C. » (à propos des minimes, Mme de Sévigné raconte ceci : « Les Minimes de la Provence ont dédié une thèse au roi (Louis XIV), où ils le comparent à Dieu, mais d’une manière qu’on voit clairement que Dieu n’est que la copie. »)

Je ne discuterai pas le goût de cette métaphore, mais je constate seulement que c’était une métaphore à laquelle on a voulu donner un sens physique. Mourir en odeur de sainteté voulait dire : mourir avec une réputation de sainteté, comme « l’odeur des vertus » veut dire la renommée des vertus qui s’étend au loin comme un parfum. À la convention nationale, un orateur, en annonçant la mort de Mirabeau, dit : Mirabeau est mort hier « en odeur de patriotisme. »

L’amour du merveilleux a changé cela, et on veut aujourd’hui que les saints exhalent après leur mort une odeur particulière extrêmement suave, que l’on ne définit pas autrement.

Cette odeur de sainteté — devenue non plus une figure mais une réalité physique, — est empruntée à l’antiquité et au paganisme.

Plutarque parle de l’odeur délicieuse qui s’exhalait du corps d’Isis, — odeur qu’elle communique aux femmes de la reine de Byblos en touchant leurs cheveux.

On sait que les courtisans d’Alexandre lui avaient fait croire que sa sueur sentait la violette ; — celle de Mahomet, disent les musulmans, exhalait une suave odeur de rose.

Les derniers miracles essayés de ce temps-ci n’ayant pas réussi, il serait bon d’en finir avec ce merveilleux. Les soutiens de l’Église