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Au nord le pôle, au sud le pôle. Il touche par chaque extrémité à l’inconnu. Ici la terre est glacée, là elle bout, plus loin elle s’épanouit dans un éternel printemps.

Tous les climats, toutes les races d’hommes l’habitent. Le dernier venu sur la scène usée du monde, il en refait le berceau et lui prépare un nouvel avenir.

C’est l’Amérique, ce jeune faucon qui essaye son vol dans l’infini. Son nid, grand comme le quart du monde, est déjà trop petit pour lui.

Le voyez-vous qui s’élance de New-York à San-Francisco ? Onze cents lieues qu’il va traverser en huit jours, et, de là, d’un seul coup d’aile, atteindre la vieille Asie que bientôt il embrassera !

Que sont aujourd’hui toutes les nations de la terre devant ce colosse enfant ?

Pourquoi le voit-on sans cesse frémissant, insatiable, ignorant du repos, bondissant à travers les obstacles, soulevant toutes les questions, appliquant toutes les idées ? C’est que son sein est le brûlant laboratoire de tous les progrès, c’est qu’il contient la source vive de toutes les libertés qu’il va bientôt répandre sur le monde.

Les peuples l’ont pris pour guide et le regardent comme leur flambeau ; chacun de ses actes est une leçon ; et nous, qui allons être entraînés fatalement dans sa course avant peu d’années, nous sommes ceux précisément qui l’ignorons le plus.

Nous habitons l’Amérique, et nous n’avons pas la moindre idée de l’Amérique.

Dans les collèges du Canada, on dirait en vérité que l’on considère comme un crime de faire connaître aux élèves l’histoire du grand peuple dont chaque pas est un exemple pour l’humanité.

Tandis que, dans les écoles américaines, il n’y a pas un enfant de douze ans qui ne connaisse la constitution de son pays et n’ait pris l’habitude de parler sur les grands faits et les grandes questions de son histoire, nous, sortis des collèges de prêtres, nous savons à peine quand la guerre de l’indépendance a eu lieu et nous ignorons totalement ce qui l’a suivi depuis près de cent ans.

Eh quoi ! il n’y a pas quinze ans peut-être, un surintendant de l’instruction publique ! donnait comme son plus beau titre de gloire qu’il n’avait laissé pénétrer dans les écoles canadiennes aucun livre publié aux États-Unis ! !

Ce qu’on apprend dans nos collèges, c’est la petite Histoire Sainte, cet inepte compendium des plus ridicules légendes, et un peu de