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ANNEXE


Lorsque je revins de France, en 1862, après y avoir passé six années pour refaire entièrement le cours d’études que j’avais suivi dans nos collèges, ce qui était impérieusement nécessaire, si je voulais apprendre quelque chose, je fus effrayé de l’ignorance générale de mes compatriotes, de la perversion de l’esprit public que j’attribuais sûrement à l’éducation et à la domination cléricales. Ce fut alors que j’écrivis, en 1863, un pamphlet auquel je donnai le nom de « Lettres sur le Canada, Étude Sociale. » Ce pamphlet ne fut tiré qu’à 200 exemplaires et resta généralement inconnu, si ce n’est de quelques dizaines d’amis qui partagaient mes idées. Il n’était composé que de trois « Lettres ; » c’est la deuxième de ces Lettres que je demande au lecteur la permission d’exhumer ici, parce que je la considère comme un appendice naturel de la Lanterne, et qu’elle fera voir de quelle conviction absolue j’ai été pénétré dès le premier jour, conviction que j’ai toujours défendue et que j’ai essayé de faire triompher à diverses époques de ma vie à jamais mémorables pour moi.


LETTRES SUR LE CANADA


Étude Sociale

DEUXIÈME LETTRE

24 Mai, 1863.

Hier je me promenais silencieusement sur la plateforme de Québec, qui domine les remparts de la ville, et d’où l’on embrasse d’un seul regard le panorama peut-être le plus grandiose et le plus magnifique, sous tous ses aspects, qu’il y ait au monde. C’est la promenade favorite, le rendez-vous général de toute la population. Parfumée de jardins à sa droite, assise sur des rochers abruptes où paissent les chèvres, dominant le fleuve, inondée de la lumière et du souffle pur de ce ciel serein qui reflète au loin dans l’horizon des teintes blanches et rosées, répercutant parfois comme un écho sonore les bruits confus de la ville qui viennent mourir à ses pieds, quel endroit enchanteur pour la contemplation et la rêverie, et combien l’homme y semble se rapprocher des cieux en voyant comme à ses pieds l’immense nature qui l’environne !

J’étais seul au milieu de la foule ; je regardais tour à tour le vaste ciel où quelques pâles étoiles commençaient à percer, les flots brunis