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choses les plus difficiles à dire, et je lui témoignai toute ma reconnaissance de m’épargner un temps perdu dans des recherches peut-être inutiles.

« Mon ami, reprit-il, vous arrivez ici avec des idées déjà formées sans doute. Veuillez m’excuser ; peut-être même avez-vous le défaut général de tous vos compatriotes qui ne jugent les autres peuples que d’après la France, et ne saisissent pas les différences que des circonstances diverses doivent apporter dans l’esprit de chaque population. Mais ne jetons pas la confusion dans vos idées ; cherchons seulement à les développer en les rattachant par la comparaison. »

Je manifestai à mon hôte toute la confiance que j’avais dans la méthode comparative, la plus simple et la plus sûre pour découvrir tous les aspects de la vérité, comme la seule qui puisse véritablement éclairer le jugement.

M. d’Estremont continua ainsi :

« Chaque peuple a des instincts et des mobiles divers. En France, la tendance générale est vers le progrès social, vers une indépendance intellectuelle absolue qui permette à chaque homme de se rendre compte de ses pensées, de ses croyances et de n’admettre d’autre autorité en fait d’opinions que celle de la vérité péniblement acquise et irréfutablement démontrée. C’est là le fruit du libre examen, dont le but est de parvenir à la vérité, au lieu de vouloir la détruire. Une vérité qui n’a pas été étudiée, controversée, soumise à toutes les investigations, n’est pas digne d’être appelée telle : elle ne peut servir qu’au vulgaire et aux ignorants qui admettent tout sans rien comprendre et qui n’ont d’autre guide que l’autorité tandis que la vérité qui naît de l’examen a le noble privilège de s’imposer, même aux esprits les plus sceptiques et aux intelligences éclairées qui l’avaient d’abord combattue.

« Voyez où conduit le manque d’examen ; à admettre comme vraies des choses manifestement fausses, à persévérer dans cette erreur pendant des siècles, comme à propos de la physique d’Aristote et des théories médicales de Galien. De là, tant de préjugés qui s’enracinent dans l’esprit du peuple. L’erreur d’un grand génie croît en prestige avec le temps et multiplie le nombre de ses dupes. On craint de contester ce qui est établi depuis des siècles ; en outre, des circonstances dangereuses viennent favoriser et maintenir l’esclavage de l’esprit. Dans les temps d’ignorance, l’autorité s’arme contre les penseurs hardis qui, pour faire taire les doutes incessants qui les poursuivent, et qui, ne pouvant se décider à croire parce que les autres croient, osent chercher la vérité en dehors de la parole du maître ; les craintes continuelles de Copernic, qui ne lui permirent de publier ses œuvres qu’à la fin de sa vie, et l’emprisonnement de Galilée en font preuve. Les premiers essais de la médecine, au sortir de la barbarie du moyen âge, furent traités de sortilèges, et bon nombre d’hommes qui ne cherchaient que la science furent brûlés comme magiciens ;