Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/332

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
332

nous serve ! Avons-nous besoin qu’elle soit plus sincère que nous ? Qui donc peut sonder les secrets infinis de la Providence, et ne se sert-elle pas souvent d’instruments misérables pour arriver à des fins glorieuses ? » — Et pour aider la Providence, ils ouvrent toutes les écluses à l’intolérance, à l’acharnement sectaire. Ici, ils ne se cachent plus : en avant ! Tenant les femmes par le cœur, les hommes par l’ambition, ils osent tout, ils écrivent tout. Voyez leurs maximes, voyez leur polémique, et reculez d’épouvante.

« Je connais tel jésuite à Montréal qui passe son temps à courir les bureaux, les familles, etc., pour recruter des jeunes gens et les enfouir dans l’Union Catholique.[1] Ah ! vous ne connaissez pas cette institution ! c’est l’antichambre du paradis. « Heureux les simples d’esprit, » a dit l’Écriture. Eh bien ! dites moi, où, quand, chez quel peuple avez-vous jamais vu une propagande aussi acharnée ! Croyez-vous que nous n’allons pas devenir tous jésuites, ou congréganistes, ou enfants du sacré-cœur ? Pourquoi pas ? Ne serions-nous pas plus religieux, et la société ne doit-elle pas être gouvernée par des hommes religieux ? Voilà ! Et c’est avec une jeunesse de cette étoffe qu’il faut préparer tout un peuple à l’émancipation et au progrès qui est la liberté de l’esprit. Et voyez-vous ce qui arrive ? Si, après tout cela, moi, père de famille, je veux penser et agir librement chez moi, on me fera autant d’ennemis de tous ceux qui m’entourent. Combien d’hommes je connais qui ne pratiquent un semblant de religion que pour ne pas être en guerre continuelle avec leurs femmes, leurs enfants et leurs amis !

« Il y a des hommes qui se révoltent contre ce despotisme inquisitorial, qui voudraient à tout prix le voir anéanti ; mais ils n’osent pas, ils craignent d’attaquer cet ordre puissant qui manie à son gré la société. Puis, l’ambition vient se joindre à la faiblesse. Ils veulent parvenir, ils veulent être élus ; et ils ne seront pas élus à moins que le cierge, qui n’est pourtant pas une puissance politique, ne les favorise. Ils voient l’opinion publique se corrompre de plus en plus, et, au lieu de la diriger, ils préfèrent la suivre, préconiser même le régime sous lequel nous nous débattons, égoïstes et dociles instruments d’un pouvoir qu’ils abhorrent !

« Mais l’avenir, Messieurs, l’avenir, vous n’y songez donc pas ! Vous comptez donc sans le réveil de la pensée ! Vous vous dites « cela durera bien autant que nous, » et vous ne songez pas que c’est à vos enfants que vous léguez cet avenir que tout leur patriotisme sera peut-être impuissant à conjurer ! »

Ici, M. d’Estremont s’arrêta ; il était comme épuisé par le soulèvement de ses pensées : il tomba dans son fauteuil, la tête dans ses deux mains, et je crus entendre des sanglots. « Âme généreuse, pensai-je en moi-même, et demain peut-être victime de ton dévoue-

  1. Le Père Michel.