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La colonisation se propage malgré l’ingratitude du sol, et le nombre des habitations augmente d’année en année. Le chemin y a été ouvert la plupart du temps à travers les roches ou bien sur de longues étendues de sable ; il n’en persiste pas moins à être excellent malgré ces désavantages, et le voyageur ne peut s’empêcher d’en témoigner sa surprise : « C’est toujours bien curieux, » disait l’an dernier à l’auteur de ce livre un habitant d’Hébertville qui le conduisait au lac Saint-Jean, « c’est toujours bien curieux qu’on soit arrivé à faire un chemin à travers des crans comme ça ; coteille d’un bord, coteille de l’autre, on n’arrive plus… » (Coteille était dit pour côtoyer). Si l’on coteille, au moins on n’enfonce pas ; il n’y a là ni ornières ni boue ni rien qui retarde la marche, et dans bien des endroits on contemple avec plaisir la jeune pousse des trembles qui a réussi à dérober sous un épais rideau de feuillage l’aspect toujours le même de rochers, de broussailles et de troncs d’arbres noircis.

On fait ainsi vingt milles avant d’arriver au Beau Portage, et quand, le long de la route, on peut saisir quelques aperçus du lac Kenogami au-dessus de la phalange de rochers qui l’interceptent au regard, cela suffit pour compenser toute la monotonie et la sécheresse du paysage. Ces aperçus sont ravissants. On voit au delà de la placide et profonde nappe du lac l’épaisse muraille de montagnes bien boisées,