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La mer y monte jusqu’à un endroit appelé Terre Rompue, mais dont le véritable nom devrait être « Interrompue, » parce que c’est là que la navigation s’arrête. Cet endroit est à quatre-vingt-huit milles de l’embouchure du Saguenay et à trente-cinq milles environ de la décharge du Lac ; les rapides et les cascades viennent y mourir après une suite d’élans échevelés. Quant au cours du Saguenay, depuis Terre Rompue jusqu’au Saint-Laurent, il est extrêmement rapide, et le reflux de la marée se fait sentir jusqu’à plusieurs lieues au large du grand fleuve, en faisant dévier parfois la course des navires.

La rivière Saguenay est un gouffre profond parfois de mille pieds, taillé en plein granit, au sein d’énormes entassements de montagnes, par un terrible cataclysme qui remonterait à des milliers d’années, si l’on peut s’en rapporter à l’attestation géologique, aux témoignages offerts par l’étonnante physionomie du sol, par l’image de bouleversements répétés, par les épaisseurs profondes d’alluvion, de terre végétale, jetées comme au hasard, en énormes amas, soulevées comme le sein même de l’océan dans la tempête, puis s’affaissant dans des ravins de cent, deux cents, trois cents pieds de profondeur, tout cela brusquement et comme simultanément, sans cause explicable, si ce n’est par un épouvantable choc dans les entrailles de la terre et par le déchaînement des éléments qui en fut la suite. Il n’est pas de voyageur qui ne se