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Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/229

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misère en perspective. Quand le fardeau que chacun porte devient trop lourd, la famille entière se repose sur le bord du chemin, la voiture s’arrête et le cheval, ou le bœuf qui y est attelé, broute tranquilement l’herbe qui pousse le long des clôtures. On tire d’un linge le gros pain qui y est enveloppé avec du beurre, et chacun mange en arrosant ce pauvre repas de quelques gorgées de lait, puisées à une bouteille qui passe de main en main, et que l’on renouvelle chemin faisant, à mesure qu’elle se vide. Le voyage dure cinq, six, huit jours, suivant la destination, après quoi devront commencer les durs labeurs, les défrichements en pleine forêt ou les travaux sur une terre à peine ébauchée, qu’un colon découragé ou impatient aura abandonnée pour aller plus loin encore, à la recherche d’un établissement nouveau qui promette davantage ou qui soit plus conforme à ses projets.


V


En l’année 1870, je parcourais dans une de ces commodes et modestes voitures qu’on appelle tantôt planches et tantôt chiennes, et qui étaient les seules alors en usage dans le Saguenay, la longue et monotone route qui traverse tout le canton Kenogami, parmi les rochers et les forêts ravagées par le feu. Je regardais avec tristesse cette terre désolée qui retient encore malgré tout ses occupants, tant l’homme s’attache au sol même qui demande le plus de labeurs et dont il tire une subsistance, quelque maigre