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LECTURE


SUR


L’Entreprise du Chemin de Fer du Nord,


Donnée par M. A. BUIES, à la Salle de Musique, le 26 mars 1874.

I

Messieurs,

Ce qu’il faut, ce qui est un besoin essentiel, une condition absolue d’existence pour les peuples modernes, ce sont les grands travaux industriels, l’application vaste et répétée de la science, et des voies de communication aussi nombreuses qu’étendues. La vie matérielle est analogue à la vie animale ; il faut qu’un pays soit sillonné de chemins de fer comme un membre est sillonné de muscles et de nerfs. Les voies de communication rapides sont comme les artères et les veines où se précipite le sang : sans elles, pas de circulation, pas de vie possible. Or, le sang d’un peuple aujourd’hui, c’est le commerce, ce sont les produits de son activité qu’il fait circuler dans tous les sens et qui, incessamment, se renouvellent. — S’il refuse de se frayer des routes vers les grands centres et les ports de mer qui servent de débouchés à son travail et à son industrie, il s’affaissera, il périra au milieu même de sa richesse. Les parties éloignées succomberont les premières, puis, la tête et le cœur suivront.

C’est à cette agonie, agonie de lui-même que le peuple de notre province assiste depuis vingt-cinq ans. Il a vu une à une ses plus belles régions s’appauvrir et se dépeupler ; il a vu la plus belle ville du monde, sa capitale, accumuler lentement ses ruines et s’en aller vers les choses du passé ; il s’est vu, lui, un des peuples les plus vigoureux, et sans nul doute l’un des vieux doués de la terre, contraint de déserter ses foyers et de chercher du travail sur un sol lointain, quand le sien propre regorgeait de trésors. Ce que nous avons de richesses ferait la fortune d’un continent, et cependant nous n’avons pas pu nourrir un million d’hommes ! Nos mines sont inépuisables, et cependant où sont les bras qui les exploitent, où les chemins de fer qui en transportent les produits capables d’alimenter l’industrie de toute l’Amérique ? L’admirable vallée du St Maurice offre en vain son sein intarissable à quiconque voudrait le presser, mais à peine quelques milliers d’hommes s’échelonnent sur cet espace que devraient couvrir les puissantes machines de l’industrie. La vallée du Saguenay, si brillante de promesses, il y a quelques années à peine, maintenant se dépeuple, languit et mesure, dans un abandon douloureux, ce qui lui reste de forces pour retarder sa chûte.

Et nous, habitants de Québec, où en sommes nous ? Depuis vingt-cinq ans, Québec n’a pas fait un pas ; au contraire, il a vu disparaître graduellement tout ce qu’il avait acquis jusqu’alors. Cette fière cité n’est plus qu’une suite de ruines, et