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facilités et tous les débouchés pour le commerce, et voilà pourquoi d’une ville, dont la nature a fait un chef-d’œuvre nous avons réussi à faire comme une vieille mâchoire pleine de trous, où s’agitent encore quelques dents branlantes.

La corporation a toutes les peines du monde à faire de petites améliorations indispensables ; pourquoi ? parce qu’il suffit de quelques propriétaires fossiles, dans une rue ou dans un quartier, pour tout retarder, tout empêcher. Si un quartier a besoin d’une chose, un autre intervient immédiatement pour l’empêcher de l’avoir ; de même pour une rue, pour un simple bout de rue ; on a dans l’idée que ce qui peut être l’avantage de l’un est nécessairement au préjudice de l’autre, et voilà pourquoi l’on n’avance à rien.

Qu’est-ce qui a fait les villes américaines, Messieurs ? c’est l’esprit public. Chacun est d’abord citoyen d’une ville entière, avant de l’être de tel quartier, de telle rue, l’habitant de telle maison. Quand il s’agit d’un intérêt général, il s’oublie momentanément, parce qu’il sait bien que plus tard il y trouvera son compte. Aussi, vous voyez là des hommes riches qui font des cadeaux de 50, 60, 100, 200,000 piastres à des institutions publiques ; vous en voyez comme cela dans toutes les villes américaines. Ici. nous possédons l’Institut Canadien qui n’a pas encore reçu de cadeaux de $50,000. Chacun pour soi, et voilà pourquoi Québec n’avance à rien. Que j’entreprenne une chose évidemment utile à tout le monde, mon voisin de suite me mettra des bâtons dans les roues, et s’il ne trouve pas de bâtons, il se mettra le corps en travers pour m’obliger à rester sur place. Aujourd’hui, voilà qu’on est en voie d’entreprendre un chemin de fer qui est le sang, la moelle, le pain de Québec ; tout le monde est d’accord là-dessus. Eh bien ! le croirait-on ? Il y a encore là deux partis ; les adhérents de l’un seraient enchantés que l’autre échouât, et ils ne prennent pas la peine de penser un instant que ce nouvel échec serait la ruine définitive de l’entreprise ; ils s’imaginent qu’ils pourraient revenir, eux ensuite, avec d’autres moyens, d’autres combinaisons, d’autres hommes, et que les supplantés les laisseraient tranquillement faire la chose à leur gré et en cueillir tous les fruits. Ils ne voient pas qu’ils ne font qu’éterniser de cette sorte une lutte qui est la ruine de tous, une lutte qui, si elle réussit encore, nous forcera à plier bagage et à quitter pour toujours ce pauvre Québec qui ne sera plus qu’un tas de poussière dans dix ans.

Comment ! vous n’en avez donc pas encore assez des ruines d’aujourd’hui ! Faut-il que toute la ville y passe ? Eh pardieu ! que le diable en personne vienne construire le chemin de fer du nord, et laissez-le faire. Les habitants seuls de Champlain y trouveraient à redire : pour moi, quoique le diable soit mon plus grand ennemi, je n’aurais pas d’objection à prendre un sous-contrat. Finissons-en une fois pour toutes.

L’exécution du chemin de fer du nord est maintenant entre les mains d’un homme qui offre des garanties sérieuses ; pour assurer cette exécution, le gouvernement a fait des sacrifices réels, de nature à satisfaire les capitalistes les plus exigeants. Entendons-nous, entendons-nous pour seconder cette œuvre ; ajoutons tout le poids et tout l’élan du patriotisme à l’action du gouvernement et même aux calculs intéressés. On n’obtiendra jamais qu’un entrepreneur, fût-ce même sir Hugh Allar, cet homme désintéressé au point de donner en pure perte 350,000 dollars, s’offre en sacrifice sur l’autel de la patrie, et nous fasse des chemins de fer qui le ruinent. Sachons donc être contents et satisfaits quand nous avons un entrepreneur qui remplit toutes les conditions désirables et qui, déjà, a donné pour $150,000 de contrats et sous-contrats. Il me semble que c’est aller assez rondement en besogne, et qu’à moins d’être résolu à s’ensevelir sous les ruines de sa ville, on ne peut en demander d’avantage en si peu de temps.

Sachons voir un heureux prélude dans ce commencement, et ayons confiance pour le reste. Si notre confiance est encore une fois trompée, eh bien ! nous n’aurons plus qu’à remettre notre cause à Dieu, et à en appeler aux puissances célestes pour faire ce qu’il semble qu’aucune puissance humaine ne peut accomplir.