Page:Buies - Lettres sur le Canada, étude sociale, vol 2, 1867.djvu/14

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Par cette résolution, on le voit, Papin voulait assimiler l’instruction en Canada au système que suivent les États-Unis, et qui leur a valu d’être le peuple le plus éclairé et le plus libre de la terre. L’instruction est la nourriture et la sauvegarde des peuples : aux États-Unis elle est la base de l’État. On y a reconnu l’homme pour ce qu’il est, pour un être intelligent, dont il faut cultiver la raison pour qu’il puisse remplir sa mission sur la terre. Or, la culture de la raison, c’est l’instruction libre, celle qui respecte également toutes les croyances. On ne confie pas les enfants à un instituteur pour en faire des prosélytes, mais pour en faire des citoyens ; on ne forme pas, on n’élève pas l’esprit, à moins de lui inspirer le respect de la conscience, le sentiment de sa propre dignité. Ce qui a rendu l’Union Américaine victorieuse de la terrible rébellion du Sud, c’est l’instruction. Croit-on qu’elle eût fait tant de sacrifices, si ses enfants, citoyens éclairés, hommes libres et pensants, n’eussent compris toute la grandeur d’un principe ? Croit-on qu’ils eussent combattu pour ce principe s’ils avaient été, dès leur jeune âge, abêtis, aveuglés, trompés, incapables de concevoir et de vouloir les destinées de leur pays ?

Cherchons dans l’histoire les peuples qui ont donné les plus grands exemples d’héroïsme, de grandeur morale, d’élévation, qui ont le plus longtemps conservé leur liberté, qui ont été les plus prospères ; ce sont ceux qui étaient le plus éclairés ; et comme les lumières engendrent la tolérance, l’égalité, l’émulation pour le bien commun, il s’en suit que tous les efforts se tournent vers la prospérité de la patrie, au lieu de se consumer en haines réciproques, en guerres intestines, causes de tant de retards dans l’acheminement au progrès. D’un autre côté, quels sont les pays où règnent le despotisme, l’impuissance, la misère, la décadence, si ce n’est ceux où l’on ne prend aucun soin de l’instruction des peuples, où on les retient à dessein dans l’ignorance, qui est le premier soutien de la tyrannie.

Mais ce sont là des lieux communs. Venons au Canada ; voyons quelle indifférence, quel méphitisme intellectuel a produit le système d’éducation établi pour l’éternisation du pouvoir théocratique. D’abord, les écoles, les écoles primaires ne sont pas libres, puisque l’intolérance y est consacrée en fait et en principe ; les instituteurs ne sont pas libres, puisqu’ils sont sous la férule de chaque curé de village qui dirige l’école à son gré, et auquel il faut bien se soumettre, si l’on veut échapper à la persécution, au dénigrement, à la porte de son modeste gagne-pain. Les colléges ne sont pas libres, oh ! encore bien moins, puisqu’ils sont conduits tous, tous, par le clergé qui en bannit la plupart des œuvres