Page:Buies - Lettres sur le Canada, étude sociale, vol 2, 1867.djvu/7

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’auraient renversé. Mais vous n’avez vu là qu’un effort inutile, qu’une tentative insensée : vous avez craint le sacrifice, et vous l’avez réservé à la génération qui vous suivait, bien plus douloureux, bien plus difficile à accomplir. N’est-elle pas en droit de se plaindre ? Aujourd’hui, recueillez le fruit amer de ce funeste effroi d’une lutte sans trêve comme toutes les luttes de la vérité. Voyez : de tous côtés vos ennemis triomphent ; voyez l’affreux état d’une société que vous n’avez pas su protéger contre le jésuitisme. Partout trônent l’hypocrisie, l’intrigue, la malhonnêteté, le mensonge, toutes les turpitudes récompensées, toutes les abjections exaltées et glorifiées.

Mais ce n’est pas le moment de vous plaindre, petit groupe d’esprits ardents et convaincus qui voulez la lutte ; vos amis se sont trouvés dans des temps difficiles… À vous d’aller de l’avant, d’attaquer le mur par la base. Qu’il s’écroule sur vous, s’il le faut ! mais du moins vous aurez frayé le chemin à la jeunesse qui demande des exemples.

Aujourd’hui, il n’est plus qu’une chose qui puisse sauver le Canada ; c’est le radicalisme ; le mal est trop grand et trop profond, il faut aller jusqu’aux racines de la plaie. Des demi-mesures n’amèneront que des avortements… Eh quoi ! ne sentez-vous pas, vous qui respirez à côté de la grande république, qu’il y a en vous une intelligence et un cœur, qui ne peuvent être l’éternelle proie des tyrans de la conscience ? Ne sentez-vous pas que l’humanité a une autre voie à suivre que celle où la jetait le moyen-âge, qu’il y a d’autres noms à invoquer que celui de l’Inquisition, une ambition plus noble à nourrir que celle de sycophante des vieux préjugés ? Préférez-vous être les instruments dociles d’un ordre ambitieux à la gloire de guider votre pays ?…

Mais que disais-je ?… où retentira cet appel suprême peut-être étouffé déjà sous les imprécations ?… hélas ! il n’y a plus de jeunesse en Canada. Je regarde autour de moi, je vois des visages froids qui s’observent, qui s’épient, qui se masquent, physionomies déprimées où règne l’empreinte d’une lassitude précoce, où se lisent les convulsions de la pensée qui cherche à se faire jour, et qui meurt dans l’impuissance.

Vous voilà, jeunesse canadienne, telle que vous ont faite les jésuites et leurs suppôts depuis vingt-cinq ans. À force de vous prêcher la soumission, ils en sont rendus à vous la faire bénir ! Impatients de leur joug, vous le défendez, vous l’exaltez dans les journaux, cherchant un sourire du maître que vous vous êtes donné vous-même, au lieu de braver sa haine qui serait impuissante, si vous saviez vouloir.