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Des volumes comme l’Album du Touriste dénaturent le français et il y a de la perfidie à les écrire. C’est se montrer en public avec la défroque d’un vêtement élégant changé en oripeau, et continuer à l’appeler par son nom. De pareils livres sont une apostasie dissimulée de notre langue ; ils l’avilissent par leurs embrassements funestes et lui font produire des êtres tellement difformes qu’on la prend en dégoût. Ils nous dépouillent de notre figure propre, nous enlèvent la sève gauloise et nous anglifient en français. Ils font plus contre notre langue que vingt conquêtes saxonnes, puisqu’ils la retournent contre elle-même et la rendent méconnaissable avec ses propres expressions. C’est, grâce à eux que tant de canadiens se réfugient dans la langue anglaise et proclament qu’il vaut mieux ne connaître et n’écrire qu’elle, plutôt qu’un français aussi baroque et aussi repoussant.

Or, ce sont là des prévarications. Nous n’admettons pas que la conscience doive être plus absente d’une manière d’écrire quelconque que de tout notre acte de la vie. Écrivez comme un bûcheron si bon vous semble, mais n’essayez pas de faire prendre la cognée pour une plume. Rejeter sur notre langue des énormités comme l’Album du Touriste, cela équivaut à faire faux en écritures publiques, à commettre un attentat à la pudeur sous le nom d’un autre.

Il est temps que ces productions innommables cessent de voir le jour ; il est temps qu’elles cessent de s’imposer au public comme à un esclave qui aime sa