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que cette Pointe-à-l’Orignal ! Encore plus étrange l’attrait irrésistible, la véritable fascination qu’il exerce sur l’âme de ceux qui y sont restés quelques jours ! Endroit par excellence pour la rêverie, pour la contemplation et pour l’admiration en présence du gigantesque panorama qui se déploie devant le regard !

Il y a là trois cottages seulement, un hôtel qui n’a pas changé depuis quinze ans, et un hangar où l’on prépare l’anguille qui abonde dans les pêches avoisinantes.

Le propriétaire de cet hôtel est un vieux kalmouck, une vraie tête bretonne, aussi récalcitrante, aussi obstinée qu’un clou poussé jusqu’à la tête dans du bois humide. Depuis quinze ans son hôtel regorge de monde ; sans se lasser, les mêmes familles y reviennent ; on s’est évertué à lui faire comprendre qu’il avait une petite fortune à réaliser en agrandissant sa maison et en lui donnant tout le confort moderne ; on lui a démontré que deux ou trois cottages de plus ne seraient pas de trop pour contenir les familles qui ne peuvent manquer de se rendre de plus en plus chaque année à la Pointe-à-l’Orignal… il n’entend rien. Renfermé dans la pêche à l’anguille à laquelle il donne tous ses soins, il ne voit rien en dehors de cela, pas même aujourd’hui que la Pointe, sa Pointe, comme il l’appelle, se trouve reliée au Grand-Tronc par un omnibus et à la rive nord par une ligne quotidienne de bateaux-à-vapeur. Impossible de le séparer de l’anguille ; il ne voit et n’entend que marée et salaison.